Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/986

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la France pour tout ce qui concernait la succession espagnole ; mais un traité d’alliance, alors même qu’il est l’expression parfaitement sincère des intentions momentanées de ceux qui l’ont signé, ne prévaut guère, à la longue, contre la force des choses, contre les intérêts des états, contre les sentimens et les passions des peuples. Ce qui ajoutait encore à la force, de cette dernière considération, c’est que le cabinet de Versailles, trompé en ce point par une défiance injuste, mais assez naturelle, n’était pas même bien convaincu de la bonne foi de Guillaume, qu’il soupçonnait d’encourager secrètement la résistance de l’empereur à toute idée de partage.

Nous venons d’indiquer les argumens qui furent allégués pour et contre l’acceptation du testament de Charles II dans un conseil extraordinaire tenu en présence de Louis XIV, et où siégeaient seulement le dauphin, le chancelier de Pontchartrain, le marquis de Torcy, secrétaire d’état des affaires étrangères, et le duc de Beauvilliers, ministre d’état. Le seul duc de Beauvilliers opina pour qu’on s’en tînt au traité de partage ; le chancelier évita de conclure dans l’un ou l’autre sens ; le dauphin et M. de Torcy se prononcèrent pour le testament. Leur avis l’emporta, et le duc d’Anjou fut déclaré roi d’Espagne sous le nom de Philippe V.

Dans un mémoire qui fut remis au comte de Manchester, ambassadeur d’Angleterre, pour expliquer et, s’il était possible, pour faire agréer cette détermination, le ministre des affaires étrangères s’efforça de démontrer que, l’empereur n’ayant pas adhéré au traité de partage et ne pouvant manquer par conséquent d’accepter la clause du testament qui appelait son fils au trône d’Espagne en cas de refus de la part de la France, ce refus aurait eu pour effet de créer un droit légitime à l’archiduc, que la guerre serait devenue inévitable, et que l’avènement du duc d’Anjou à la royauté espagnole était le meilleur moyen de la prévenir. De pareilles raisons, sous quelque forme qu’on les présentât, n’étaient pas de nature à faire beaucoup d’impression sur l’esprit de Guillaume. L’irritation, le dépit que lui inspira la résolution du gouvernement français se peignent, vivement dans une lettre qu’il écrivit à son confident intime, le grand-pensionnaire Heinsius, au moment même où il venait de recevoir le mémoire communiqué au comte de Manchester.


« Je ne doute pas, lui dit-il, que le procédé inouï de la France ne vous surprenne autant qu’il m’a surpris. Je n’ai jamais beaucoup compté sur les engagemens qu’on pouvait prendre avec elle ; mais jamais, je dois l’avouer, je n’aurais pu me persuader qu’en cette occasion elle en vînt à rompre, à la face du monde, un traité aussi solennel. Les motifs allégués dans le mémoire que je vous envoie sont tellement déhontés, que je ne puis concevoir comment on a eu l’effronterie de produire une telle pièce. Nous devons reconnaître que