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pas,… et que toutes les affaires du monde tomberaient dans un chaos plus affligeant qu’on n’en a jamais vu. »


Ce langage était presque prophétique. Tallard, pour mieux câliner les élans ambitieux auxquels le cabinet de Versailles pouvait se laisser emporter, ajoutait que l’Espagne, entre les mains d’un prince français, avait autant de chances de devenir, à la première occasion, l’ennemie de la France, que si elle passait aux mains d’un prince bavarois. Ces sages conseils prévalurent. On se mit d’accord sur les bases d’un arrangement qui donnait au prince électoral de Bavière l’Espagne et les Pays-Bas avec, toutes les colonies, et au dauphin, par conséquent à la couronne de France, les royaumes de Naples et de Sicile, les places de Toscane qui en dépendaient alors, la ville et le marquisat de Final et la province de Guipuzcoa, dont les nombreux et excellens ports devaient suppléer à ceux qui nous manquent sur les cotes du golfe de Gascogne. Le duché de Milan était assigné à l’archiduc Charles ; dans le cas où le jeune prince bavarois viendrait à mourir sans postérité, son père l’électeur lui succéderait. Les trois parties contractantes, c’est-à-dire la France, l’Angleterre et les Provinces-Unies, s’engageaient à maintenir contre toute opposition les stipulations ainsi arrêtées.

Il ne restait plus qu’à signer le traité. Ce qui est presque incroyable, c’est que jusqu’à ce moment Guillaume III, traitant directement avec la France par l’intermédiaire de son favori, le comte de Portland, Hollandais d’origine, avait caché la négociation à ses ministres anglais, sans en excepter le secrétaire d’état chargé des affaires étrangères, ni même le lord chancelier Somers, à qui il accordait une confiance presque absolue pour tout ce qui regardait les questions intérieures. Il fallut bien enfin rompre ce silence, d’autant plus que rien ne pouvait être signé qu’en vertu de pleins pouvoirs revêtus du grand sceau de l’état que le chancelier avait entre les mains. De Hollande, où le roi se trouvait alors, il écrivit à lord Somers que la France venait de lui faire des propositions sur lesquelles il ne voulait rien décider avant d’avoir pris l’avis de ses conseillers. Il lui fit entendre que, pour ne pas laisser échapper une occasion favorable, et les circonstances pouvant devenir urgentes, il importait d’envoyer promptement les pouvoirs nécessaires pour conclure. Le comte de Portland écrivit dans le même sens au secrétaire d’état Vernon.

Les réponses des ministres anglais sont remarquables. Les conditions du traité projeté ne leur semblent pas exemptes de dangers pour l’Angleterre et pour l’Europe ; mais dans la situation des choses il ne leur parait pas possible de les rejeter, et l’on voit même, à leur langage, qu’ils en auraient accepté de plus défavorables. Le chancelier