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ce vaste héritage, ce seraient des provinces nouvelles incorporées a la monarchie française. Ainsi s’explique l’apparente inégalité de ces de ces deux projets dont Louis XIV laissait le choix au cabinet de Londres.

Chose singulière et qui prouve à la fois l’extrême désir de conciliation qui animait Guillaume, et l’idée qu’il se faisait de la puissance de la France comme de la nécessité de lui offrir de grands avantages ! — peu de jours avant celui où le gouvernement français chargeait M. de Tallard de lui faire ces propositions, le roi d’Angleterre exprimait lui-même à cet ambassadeur, dans une forme moins positive il est vrai, des idées qui s’en rapprochaient beaucoup et qui reposaient sur une alternative à peu près semblable. Seulement, préoccupé des intérêts qui agissaient le plus sur les esprits des peuples dont il était le représentant, — les Anglais et les Hollandais, — il y avait ajouté des clauses qui avaient pour objet de garantir le commerce de ces peuples par la cession de quelques places, tant dans la Méditerranée qu’en Amérique, et aussi de donner dans les Pays-Bas une barrière aux Provinces-Unies contre la France.

Lorsque Guillaume eut connaissance des propositions formelles du cabinet français, elles lui parurent tellement modérées, qu’il y soupçonna quelque artifice. Ce qui n’est pas moins remarquable, c’est qu’entre les deux projets dont Louis XIV lui laissait le choix, il inclinait et abord à préférer celui qui, en donnant a un des fils du dauphin la péninsule espagnole et les Indes, n’eût apporté à la France elle-même, aucun accroissement territorial. Ainsi donc la combinaison qui devait finir par triompher après une des guerres les plus sanglantes et les plus longues dont l’Europe ait gardé le souvenir fut sur le point de se réaliser à l’amiable. La sagesse de deux grands rois avait deviné le point où il faudrait s’arrêter pour ménager autant que possible les droits, les intérêts, les prétentions engagés dans cette affaire.

Malheureusement il ne leur lut pas donné de prévaloir contre les passions et les entraînemens des esprits médiocres, qui, dans les cabinets et dans les assemblées politiques comme partout, forment toujours l’immense majorité. Guillaume se serait passé de l’assentiment préalable de ses anciens alliés, de l’Autriche surtout, dont il connaissait l’intraitable ambition, mais qu’il comptait mettre facilement à la raison lorsqu’il se serait entendu avec Louis XIV, de même qu’il lui avait déjà imposé la paix de Ryswick ; il craignait peu l’opposition de ses sujets anglais, trop absorbés alors par leurs querelles domestiques pour se montrer bien exigeans en fait de politique extérieure, pourvu que leurs intérêts commerciaux fussent mis à couvert. Les Hollandais toutefois étaient moins traitables. Encore émus par le ressentiment de l’injuste invasion qui, vingt-cinq années