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ADELINE PROTAT.

— De son travail ! répliqua le sabotier avec étonnement ; quel travail, s’il vous plaît ? Entendons-nous, monsieur Lazare, continua le père d’Adeline avec gravité… vous vous intéressiez à ce drôle, et je vous ai laissé faire ; mais, cette fois, c’est sérieux ?

— Très sérieux, plus que vous ne pensez, répondit le peintre. Zéphyr a gagné cet argent, et l’a gagné honorablement.

— Ah ! pardi, s’écria le sabotier, je suis curieux d’apprendre comment. — Et Protat se rassit à sa place.

Lazare raconta à son hôte comment il avait découvert le talent de l’apprenti, et expliqua ainsi la possession de l’argent trouvé dans sa chambre : — C’est le prix des ouvrages qu’il vend aux marchands de Fontainebleau, dit-il.

Cette révélation n’eut point le résultat que paraissaient en attendre l’accusé et celui qui se constituait son défenseur. Protat commença par nier le talent de son apprenti ; il prétendit que Lazare était victime d’un mensonge, et que Zéphyr était incapable de rien faire de ses deux mains.

— Il vous en donnera la preuve ! dit Lazare.

— Eh bien ! s’écria Protat, s’il est vrai qu’il sache travailler, et qu’il tire un gain de son travail, c’est un gredin ; son argent ne lui appartient pas davantage.

— Aussi votre apprenti avait-il l’intention de vous le restituer quand la somme aurait été plus forte, répondit l’artiste, qui commençait à se passionner un peu.

Protat revint alors à, sa première idée : il maintint que Zéphyr était hors d’état de faire usage d’un outil ; mais au même instant un démenti lui arriva sous forme de preuve. Pendant le débat qui s’était prolongé entre Lazare et Protat, qui avait longuement, pour justifier sa colère, raconté à Cécile l’histoire de son adoption et des bienfaits dont il avait comblé l’apprenti, celui-ci s’était brusquement isolé dans un coin ; ayant pris d’une main un gros bâton qui était dans la salle, il en tailla le manche avec son couteau ; au bout d’une demi-heure de travail, et comme son maître l’accusait d’ignorance, l’apprenti lui présentait par le manche le bâton de houx, qui faisait depuis longtemps sur ses épaules l’office d’exécuteur des hautes colères de Protat.

— Si j’ai menti, monsieur Protat, dit Zéphyr en tendant le dos, tuez-moi tout de suite avec ça, et que ça finisse.

Les yeux du sabotier s’étaient portés sur le manche du gourdin. La poignée, largement ébauchée, représentait deux serpens enroulés. Si rapidement que cette ébauche eût été exécutée, le résultat atteint n’était pas ordinaire ; l’enlacement des deux reptiles avait un aspect effrayant d’abord, et d’une vérité inquiétante.