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M. de Tallard, sont en réalité, du moins pour la plupart, des dépêches de cabinet extrêmement soignées dans lesquelles les vues de la politique française se trouvent exposées avec beaucoup de développement, de netteté, et en termes très choisis. Celles de Guillaume III, de ses ministres et du comte de Portland, son ambassadeur en France, ne sont au contraire, en grande partie, que des lettres confidentielles écrites, pour ainsi dire, au courant de la plume, et qui indiquent plus qu’elles n’approfondissent la situation. Comme l’éditeur le fait remarquer, il n’y a aucune comparaison à établir, quant au mérite de la rédaction, entre ces deux correspondances. Il croit pouvoir ajouter qu’autant celle de Louis XIV l’emporte à cet égard, autant celle de Guillaume III est supérieure par les sentimens de droiture et de bonne loi dont elle est l’expression, et qui, suivant lui, font un contraste complet avec la duplicité de la politique attestée par les dépêches du monarque français. Je dois dire que cette dernière appréciation me parait bien rigoureuse, pour ne pas dire plus. Je n’entends certes pas nier la sincérité de Guillaume dans les négociations par lesquelles il s’efforça d’arriver à des arrangemens qui eussent prévenu la terrible guerre de la succession d’Espagne : cette sincérité est évidente ; mais ce qui ne l’est pas moins, à mon avis, c’est que Louis XIV partageait ces dispositions pacifiques et conciliantes, et qu’il y persévéra jusqu’au moment fatal où un concours de circonstances en partie imprévues l’entraîna presque irrésistiblement à rompre les engagemens qu’il avait pris, à se donner toutes les apparences de la mauvaise foi préméditée, et à précipiter l’Europe dans une guerre où la France faillit succomber.


I

À l’époque où s’ouvre la correspondance dont nous voudrions faire comprendre ici l’intérêt historique, — en 1697, — quelques mois avant la conclusion de la paix de Ryswick, Louis XIV commençait à vieillir et la fortune de la France à chanceler. Ce prince, luttant depuis près de dix ans contre L’Europe presque entière qu’il avait exaspérée par son orgueilleuse prépotence, éprouvait pour la première fois une résistance énergique dont il ne pouvait triompher ; il était forcé de reconnaître que les autres puissances, si longtemps vaincues, s’étaient aguerries par leurs défaites mêmes, qu’elles avaient appris de lui l’art de mettre en mouvement ces masses énormes de soldats dont le nombre finit toujours par fixer la victoire, et que sous l’habile direction de Guillaume, avec le concours de l’Angleterre, qui, dans les guerres précédentes, s’était tenue à peu près à l’écart, elles étaient désormais en mesure de lui tenir tête sans trop