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DU


DRAME MODERNE.[1]




I

Quand je voyageais en Grèce, je m’asseyais dans la solitude, sur les gradins écroulés des théâtres antiques, et là j’imaginais à mon aise les plus belles tragédies du monde, auxquelles assistaient les chênes et les cyprès qui ont grandi dans l’enceinte. Il m’arrive aujourd’hui quelque chose de semblable. Tout mon espoir actuel, en exposant l’idée du drame tel que je le conçois aujourd’hui, est de le voir représenté dans les mêmes conditions, devant cette même conscience invisible, par une troupe de faunes, sortis tout exprès avec leurs masques d’airain des ruines de Messène ou de Corinthe.

Je me suis trouvé en des jours où la conscience humaine m’a paru se troubler. Au milieu de la mêlée universelle, je cherche à me bâtir une forteresse morale pour m’y abriter quelque temps. Dans un isolement presque complet, je pense à la foule, dont j’entends encore le murmure. C’est ainsi que ma pensée se tourne vers la forme populaire du drame, sans songer où se rencontreront les spectateurs.

Je choisis pour mon héros l’esclave ; c’est le seul que les poètes et les historiens aient oublié. Le personnage sur lequel reposait l’antiquité

  1. Un drame que M. Edgar Quinet vient de terminer, et qu’il compte publier sous ce titre : Spartacus ou les Esclaves, l’a amené à s’interroger lui-même sur l’avenir du théâtre et sur le rôle qui pourrait lui appartenir dans la société contemporaine. C’est le résultat de ces réflexions que nous donnons ici, comme apportant, avec l’exposé de la conception poétique de l’auteur, quelques vues nouvelles sur des questions qui ont toujours appelé l’attention de la Revue.