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de botanique, d’atlas géologiques et anatomiques. Dans sa maison, rangée avec soin et meublée avec un certain luxe, il y a quelques objets curieux et quelques chinoiseries d’un genre particulier : chauves-souris d’une espèce rare, empaillées ou disséquées, scorpions et serpens exotiques conservés dans L’esprit-de-vin, squelettes d’animaux, vestiges de races disparues, tout cela acheté de ses minces économies. Job a aussi des collections non d’éditions ou de gravures, mais d’insectes, de papillons et de plantes. La création de ce personnage de Job Legh fait honneur au bon sens et à l’esprit d’observation de mistress Gaskell. Le peuple en effet a une répugnance invincible pour tout ce qui est purement spéculatif et pour tous les travaux qui relèvent directement et exclusivement de la méditation abstraite. Il ne s’inquiète pas de philosophie ni de problèmes moraux, et c’est pour cela que la religion, même aujourd’hui, a toujours conservé sur lui un grand empire, parce qu’elle lui présente ces problèmes à l’état de faits palpables et de règles pour guider sa vie. Il comprend encore moins la haute métaphysique politique et constitutionnelle, et il est à remarquer qu’il s’est toujours très mal débrouillé dans toutes ces complications ; lorsqu’il a été consulté, il est toujours allé tout droit aux faits les plus simples, à l’alpha et à l’oméga de la politique, — la dictature ou la révolte. On n’aperçoit jamais le peuple, dans l’histoire, qu’au commencement ou à la fin des dynasties et des systèmes politiques ; il disparaît pendant toute la durée de l’espace intermédiaire. Les hautes sciences mathématiques n’ont jamais eu non plus beaucoup d’attrait pour lui. Platon, dans l’antiquité, refusait de faire descendre la géométrie et l’astronomie de leurs hautes sphères ; il défendait à ses disciples de laisser les sciences se dégrader en devenant utiles, en servant aux usages communs de la vie, en s’appliquant aux arts populaires. Archimède se reprochait d’employer à des procédés utiles au salut de sa patrie la science mathématique. Tous ces grands génies faisaient une distinction entre les arts des esclaves et la science pure, faite pour les aristocrates et les philosophes ; le peuple a semblé de tout temps être de leur avis. Il leur a laissé les hautes spéculations métaphysiques, et il a poursuivi des arts pratiques et moins orgueilleux. Aujourd’hui même que l’on parle tant de la tendance du peuple à s’élever et à s’instruire, regardez quelles sont les sciences qu’il recherche et cultive de préférence : ce sont les arts mécaniques et les sciences naturelles ; pas d’idéologie, comme disait le roi du peuple, Napoléon. Il sait des arts plastiques ce qu’il en faut savoir pour bien lever un plan et faire avec netteté et exactitude le dessin d’une machine. Il n’y a qu’un art élevé qui ait trouvé grâce devant le peuple, et cet art, c’est, ainsi que nous l’avons dit, le plus populaire