est tout nouveau et qui ne s’est jamais vu que chez nous. Ces insurgés du Lancashire qui assomment des ouvriers comme eux, tirent au sort une victime et se contentent, dans leur colère, de donner et de recevoir des coups, m’expliquent très bien un des côtés par lesquels l’Angleterre a échappé et échappe aux révolutions modernes. Ces insurgés-là ressemblent aux paysans révoltés du temps de Richard II ou aux ouvriers flamands du moyen âge : leur colère passée, leurs sujets de plainte disparus, ils ne penseront plus à la révolte ; mais nourrir la pensée de la révolte, et l’entretenir en soi pendant des années entières, — attendre patiemment dix ans une occasion de se révolter, bien choisir son moment, — voilà ce que ces pitoyables insurgés ne sauront jamais faire. Les hommes de la force physique, quelques membres de la jeune Irlande et du parti chartiste, gens plus cosmopolites et moins insulaires, mieux informés des choses du continent, avaient bien essayé d’introduire quelque art et quelques innovations dans l’insurrection ; ils ne s’étaient guère attachés cependant qu’aux points les plus grossiers, verres cassés, vitriol, etc., à quelques détails vulgaires et odieux. L’art de l’émeute est tout autre chose. Quel pays arriéré que cette Angleterre, — si arriéré que, tandis que chez nous on a enseigné au peuple à savoir se modérer pour s’insurger avec plus de chances de succès, une foule d’écrivains anglais radicaux, très amis du peuple, comme l’auteur de Mary Barton, s’efforcent de lui apprendre à se modérer pour ne plus se soulever du tout.
Les personnages qu’elle met en scène sont des insurgés non par système, mais par colère, et en cela ils nous semblent vrais et parfaitement conformes à la nature et au caractère populaire. Ils ne sont pas non plus raisonneurs ; l’ouvrier philosophe est une invention de radicaux aristocratiques et de romanciers qui ne se sont jamais rendu bien compte de la tournure d’esprit du peuple. Et cependant ces personnages ne dédaignent pas l’instruction et la science, il s’en faut bien. Aussitôt que le travail de chaque jour est achevé, et que la dure nécessité leur laisse quelques minutes de répit, ils prennent un livre et tâchent de s’initier aux mystères du monde dans lequel ils vivent. Mais que lisent-ils et qu’étudient-ils ? Les sciences d’application, les arts pratiques, les lois d’observation et de faits, l’histoire naturelle, la botanique, la chimie, tout ce qui peut leur enseigner quelque chose de certain, et peut les rendre plus habiles dans leur métier, tout ce qui peut en un mot plutôt satisfaire leur curiosité par des résultats incontestables que la piquer et l’aiguillonner par des problèmes douteux. Le vieux Job Legh de Mary Barton est le vivant exemple de ces instincts scientifiques et pratiques particuliers au peuple ; il a une bibliothèque, mais composée de livres d’histoire naturelle, de dictionnaires