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qui, aussitôt après la sortie des maîtres, rentre dans la salle et s’empare du papier. Cette caricature, circulant dans un meeting tenu le même soir par les ouvriers en grève, y produit l’effet que vous pouvez sans peine imaginer. — Et ainsi ce n’est pas assez, viennent-ils dire tous alternativement, comme un chœur de furies qui réclament leur vengeance, ce n’est pas assez de nos misères, il faut encore qu’on y ajoute la raillerie ? Alors, au milieu de l’obscurité et du silence le plus profond, un serment terrible est prononcé, une victime est marquée, et le sort est sommé de désigner un meurtrier. Quelques jours après, au coin d’une ruelle, on relève M. Harry Carsons baigné dans son sang. Et maintenant, comme disait, Bossuet, erudimini qui judicatis terram. L’homicide est affreux ; mais l’imprudence qui peut donner l’occasion à de pareils attentais de se produire n’est-elle pas folle et coupable ? Que penseriez-vous d’un homme qui, pour éteindre un incendie, verserait sur le feu de l’huile ou de l’alcool ?

Rendons toujours la justice à chacun, quel qu’il soit, une justice stricte, inflexible, mais sérieuse, et surtout au peuple. Pauvre peuple ! Placé entre les déclamations des uns et les quolibets des autres, entre des phrases sentimentales et des plaisanteries, que voulez-vous que devienne sa pauvre et ignorante cervelle ? Ce n’est pas moi qui songerai à m’étonner des sottises qu’il a faites et qu’il fera, et des embarras qu’il a donnés et qu’il donnera probablement encore aux sociétés. Et pourtant combien est simple la règle de conduite à tenir envers lui ! Si ce qu’il demande est juste, examinez-le et accordez.-le-lui ; si ses exigences sont absurdes, faites-le taire. Le peuple doit savoir, et malheureusement on ne le lui a pas assez dit ni fait connaître, qu’il n’est ni au-dessus ni au-dessous de la justice. Elle doit lui être rendue inflexiblement, strictement, et il ne doit réclamer rien qui lui soit contraire. À proprement parler, rendre la justice au peuple, n’est-ce pas l’objet essentiel des sociétés et des états ? Pourquoi donc sont institués les gouvernemens, les magistratures, si ce n’est à cette seule fin de faire droit aux réclamations, de les examiner, de les constituer en droits, titres et privilèges, de les maintenir et de les protéger ? Et pourquoi est instituée l’artillerie, la force armée, sinon pour s’opposer à la force brutale et anarchique et l’empêcher de violer la justice ? Apprenez au peuple qu’il ne peut avoir affaire qu’à la justice, qu’elle sera équitable pour lui s’il l’invoque, et impitoyable pour lui s’il se met au-dessus d’elle. Cela vaudra mieux que toutes les lamentations, les sentimentalités, les génuflexions démocratiques devant sa majesté souveraine. Surtout soyez sérieux avec lui, ne faites pas de charges artistiques, de bons mots de salon, de plaisanteries de littérateur. N’imiter pas M. Harry