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besoin d’être exposés sous une nouvelle lumière ; qu’il y a beaucoup d’élément dans la vie humaine qui, négligés, abandonnés, laissés sans aliment, aujourd’hui, n’en persistent pas moins à vivre. Le plus mauvais de ces livres ne vous enseigne-t-il pas que l’homme n’est pas seulement une machine à production matérielle, qu’il n’est pas fait pour l’absolutisme et l’anarchie, qu’il n’a pas été destiné, comme les uns veulent le faire croire, à l’esclavage, et, comme les autres le donnent à penser, à la révolte, mais qu’il a été prédestiné à un but plus noble et plus complet, à être soumis et indépendant tout ensemble, raisonnable et religieux tout ensemble, dévoué à ses semblables et inflexible dans la juste revendication et la libre possession de ses droits. L’homme du XIXe siècle sent qu’il marche de travers, voilà ce qu’il y a de meilleur en lui et même de tout à fait excellent ; mais ne lui demandez pas de vous donner des méthodes nouvelles pour marcher droit. L’astrologie judiciaire, la mnémotechnie, l’alchimie et le magnétisme sont des prodiges de génie et des inventions sensées en comparaison des réponses que vous obtiendrez.

Il est remarquable que de notre temps les hommes ont peu de confiance aux systèmes qui leur sont offerts, et qu’ils y résistent ouvertement, mais qu’en général ils sont moins invincibles en face de cette puissance vague que nous avons essayé d’expliquer sans trouver de mots pour la définir. Il y a une expérience que chacun a pu faire : placez dans une société quelque peu nombreuse un homme à théories et à systèmes préconçus, et vous obtiendrez immédiatement un chaos de récriminations, de réfutations, de discussions. Au lieu de ce théoricien, placez dans la même société un homme qui n’ait pas d’idée fixe égoïste et de système exclusif à faire triompher, qui, en un mot, n’ait pas besoin, pour sauver sa vanité, d’avoir raison, laissez-le exposer en termes simples et vrais quelque fait impossible à nier, quelque maladie morale qui soit visible à tous les yeux, quelque oubli des principes éternels ; laissez-le mettre résolument la main sur quelqu’une de nos plaies, et voyez l’effet qu’il produira. Ses paroles ne soulèveront ni discussions, ni récriminations ; un silence complet lui répondra, à moins qu’il ne se trouve dans cette société quelque incorrigible pédant. Ce silence, qui accueillera ses paroles, en témoignant de leur vérité, témoigne aussi de la force invincible du sentiment chez l’homme moderne.

Cette puissance vague, obscure, indécise, favorise certains arts et en repousse certains autres ; ceux qu’elle favorise vivent encore et ceux qu’elle dédaigne meurent lentement et s’éteignent faute d’alimens. Les nobles arts de la peinture et de la sculpture, impuissans à exprimer les sentimens contemporains, dégénèrent peu à peu, essaient infructueusement d’élargir leurs cadres et prodiguent