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Pilon. On peut dire que ces quatre artistes se sont comme partagé la grandeur et la grâce. Au premier la noblesse et la force avec une science profonde, aux trois autres une élégance pleine de charme. La sculpture change de caractère au XVIIe siècle ainsi que tout le reste : elle n’a plus le même agrément, mais elle acquiert un surcroît de force et l’inspiration morale et religieuse, qui avait trop manqué aux plus habiles maîtres de la renaissance. En est-il un, Jean Cousin excepté, qui soit supérieur à Jacques Sarazin ? Ce grand artiste, aujourd’hui presque oublié, est un disciple à la fois de l’école française et de l’école italienne, et aux qualités qu’il emprunte à ses devanciers il ajoute l’expression morale, touchante et élevée, qu’il doit à l’esprit du siècle nouveau. Il est, dans la sculpture, le digne contemporain de Lesueur et de Poussin, de Corneille, de Descartes et de Pascal. Il appartient tout à fait au règne de Louis XIII de Richelieu et de Mazarin : il n’a pas même vu celui de Louis XIV[1]. Rappelé en France par Richelieu, qui y avait aussi rappelé Poussin et Champagne, Jacques Sarazin, en peu d’années, a produit une foule d’ouvrages d’une rare élégance et d’un grand caractère. Que sont-ils devenus ? Le XVIIIe siècle avait passé sur eux sans y prendre garde, Les barbares qui les ont détruits ou dispersés s’étaient arrêtés devant les toiles de Lesueur et de Poussin, protégées par un reste d’admiration : en brisant les chefs-d’œuvre du ciseau français, ils ne se sont pas même doutés du sacrilège qu’ils commettaient envers l’art aussi bien qu’envers la patrie[2]. Du moins j’ai pu voir il y a quelques années, au Musée des monumens français, recueillies par la piété d’un ami des arts[3], de belles parties du superbe mausolée élevé à la mémoire de Henri de Bourbon, deuxième du nom, prince de Condé, le père du grand Condé, le digne appui, l’habile collaborateur de Richelieu et de Mazarin. Ce monument était soutenu par quatre figures de grandeur naturelle, la Religion, la Justice la Pièté, la Force. Il y avait quatorze bas-reliefs en bronze, où étaient retracés les Triomphes de la Renommée, du Temps, de la Mort, de l’Éternité, Dans le Triomphe de la Mort, l’artiste avait représenté un certain nombre de modernes illustres, parmi lesquels il s’était mis lui-même, à côté de Michel-Ange[4]. Nous pouvons contempler

  1. Sarazin est mort en 1660. Lesueur en 1655, Poussin en 1665, Descartes en 1650, Pascal en 1662, et le génie de Corneille n’a pas franchi cette époque.
  2. On a détruit en 1793 les deux charmantes figures d’anges en argent portant le cœur de Louis XIII qu’on voyait dans l’église Saint-Louis de la rue Saint-Antoine.
  3. M. Lenoir. Voyez le Musée royal des monumens français, Paris, 1815, avec l’atlas in-folio composé de quelques planches gravées par M. Lavallée.
  4. D’abord dans l’église des Jésuites, puis au musée des Petits-Augustins. Lenoir, p. 98 et 00. Quelques-uns des bas-reliefs en ont aussi été conservés. Ibid., p. 122 et 140.