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l’oncle de Claudine, d’Antoinette et de Françoise Stella ; Lahire, qui a tant d’esprit et de goût[1] ; Sébastien Bourdon, si noble et si élevé ; les Lenain, qui ont quelquefois la naïveté de Lesueur et la couleur de Champagne ; le Bourguignon, plein de mouvement et de verve ; Jouvenet, qui compose si bien ; tant d’autres, enfin Lebrun, qu’il est de mode aujourd’hui de traiter cavalièrement, et qui avait reçu de la nature, avec la passion peut-être immodérée de la gloire, celle du beau en tout genre et un talent d’une flexibilité admirable, le véritable peintre du grand roi par la richesse et la dignité de sa manière, et qui, comme Louis XIV, clôt dignement le XVIIe siècle[2].

Puisque nous avons parlé avec un peu d’étendue de la peinture du XVIIe siècle, ne serait-il pas injuste de passer entièrement sous silence la gravure, sa fille ou sa sœur ? Ce n’est pas un art de médiocre importance ; nous y avons excellé, nous l’avons surtout porté à sa perfection dans les portraits. Soyons équitables envers nous-mêmes : quelle école, celle de Marc-Antoine, ou celle d’Albert Dürer, ou celle de Rembrandt, peut présenter en ce genre une telle suite d’artistes éminens ? Thomas de Leu et Léonard Gautier font en quelque sorte le passage du XVIe au XVIIe siècle. Puis viennent en foule les talens les plus divers, Mellan, Michel Lasne, Morin, Darel, Huret, Masson, Nanteuil, Drevet, Van Schupen, les Poilly, les Edelinck, les Audran. Gérard Edelinck et Nanteuil ont seuls une renommée populaire, et ils la méritent par la délicatesse, l’éclat et le charme de leur burin ; mais les connaisseurs d’un goût élevé leur trouvent au moins des rivaux dans des graveurs aujourd’hui moins admirés parce qu’ils ne flattent pas autant les yeux, mais qui ont peut-être plus de vérité et de vigueur, et quelquefois autant de grâce. Il faut bien le dire aussi, les portraits de ces deux habiles maîtres n’ont pas l’importance historique de ceux de leurs devanciers. On admire avec raison le Condé de Nanteuil ; mais si on veut connaître le grand Condé, le vainqueur de Rocroy et de Lens, ce n’est pas à Nanteuil qu’il faut le demander, c’est à Huret, c’est à Michel Lasne, c’est surtout à Daret, qui l’a dessiné et gravé à l’âge de trente-deux ou trente-trois ans, dans toute sa force et sa beauté héroïque[3]. Edelinck et Nanteuil lui-même n’ont guère

  1. Voyez son Paysage au Soleil couchant et les Baigneuses, scène agréable, un peu gâtée par l’incorrection d’un dessin trop facile.
  2. Le tableau qu’on appelle le Silence, et qui représente le sommeil de l’enfant Jésus, n’est pas indigne du Poussin. La tête de l’enfant est d’une puissance surhumaine. Les Batailles d’Alexandre, avec leurs défauts, sont des pages d’histoire de l’ordre le plus élevé, et dans l’Alexandre visitant avec Éphestion la mère et la femme de Darius, on ne sait qu’admirer le plus, de la noble ordonnance de l’ensemble ou de la juste expression des figures.
  3. Ce portrait de Condé et bien d’autres du même graveur sont du plus grand prix. Il parait que Lesueur a quelquefois fourni des dessins à Daret. Par exemple, c’est à Lesueur que Daret doit l’idée et le dessin de son chef-d’œuvre, le médaillon d’Armand de Bourbon, prince de Conti, représenté dans sa première jeunesse et en abbé, soutenu et environné par des anges, de différente grandeur, formant une composition charmante. Le dessin est d’une pureté accomplie, excepté quelques raccourcis restés imparfaits. Les petits anges qui se jouent avec les emblèmes du futur cardinal sont pleins d’esprit et en même temps de suavité.