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Suzanne[1]. Elle vient d’être guérie miraculeusement, et toute sa personne abattue porte l’empreinte d’un reste de souffrance. En face, la mère Agnès à genoux la regarde avec une joie reconnaissante. Le lieu de la scène est une pauvre cellule ; une croix de bois suspendue à la muraille, quelques chaises de paille en sont tous les ornemens. Sur le tableau se lit cette inscription : Christo uni medico animarum et corporum, etc. On a là le stoïcisme chrétien de Port-Royal dans son imposante austérité. Ajoutez à tous ces portraits celui de Champagne[2], car le peintre peut être mis à côté de ses personnages.

Quand la France n’aurait produit au XVIIe siècle que ces quatre grands artistes, il faudrait faire une belle place à l’école française ; mais elle compte bien d’autres peintres du plus grand mérite. Parmi eux, distinguez Mignard, si admiré dans son temps, si peu connu aujourd’hui et si digne de l’être. Comment avons-nous pu laisser tomber dans l’oubli l’auteur de la fresque immense du Val-de-Grâce, tant célébrée par Molière[3], et qui est peut-être la plus grande page de peinture qui soit au monde ? Ce qui frappe d’abord dans ce gigantesque ouvrage, c’est l’ordonnance et l’harmonie, puis viennent mille détails charmans et d’innombrables épisodes qui forment eux-mêmes des compositions considérables. Remarquez aussi le coloris brillant et doux qui devrait au moins obtenir grâce pour tant d’autres beautés du premier ordre. C’est encore au pinceau de Mignard que nous devons ce ravissant plafond du petit appartement du roi à Versailles, chef-d’œuvre aujourd’hui détruit, mais dont il nous reste une traduction magnifique dans la belle estampe de Gérard Audran. Quelle expression profonde dans la Peste d’Eaque[4] et dans le Saint Charles donnant la communion aux pestiférés de Milan ! On s’accorde à reconnaître Mignard pour un de nos meilleurs peintres de portraits : la grâce, quelquefois un peu raffinée, se joint en lui au sentiment. L’école française peut encore présenter avec orgueil Valentin, mort jeune et qui donnait tant d’espérances ; Stella, le digne ami du Poussin,

  1. Au musée du Louvre.
  2. Au Musée, et gravé par Gérard Édelinck. Le Musée possède aussi le portrait de Robert d’Arnauld d’Andilly, que Morin a gravé. Dans la collection du comte de Spencer à Altorp, M. Waagen, t. II. p, 537, a vu un portrait de ce même d’Andilly qui, dit-il, pour la vie et la couleur, ne te cède guère à celui de Paria, Serait-ce l’autre portrait d’Andilly, peint aussi par Champagne et graxé par Edelinck ? M. Waagen a rencontré chez le duc de Sytherland ; à Staffordhouse, un portrait d’homme plein de naturel et de coloris, de la main de Champagne. Encore un Français dont le portrait est perdu pour la France sans enrichir beaucoup l’Angleterre !
  3. La Gloire du Val-de-Grâce, in-4o, 1669. Molière y entre dans des détails infinis sur toutes les parties de l’art de peindre et du génie de Mignard. il pousse l’éloge peut-être jusqu’à l’hyperbole. Depuis, l’hyperbole a fait place à la plus honteuse indifférence.
  4. Gravée par G. Audran sous le nom de la Peste de David. Qu’est devenu l’original ?