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plus âgé, un genou en terre, lit ces mots gravés sur la pierre : Et in Arcadia ego, et moi aussi j’ai vécu en Arcadie. À gauche, un autre berger écoute avec une sérieuse attention ; à droite est un groupe charmant, composé d’un berger au printemps de la vie et d’une jeune fille d’une beauté ravissante. Un étonnement naïf se peint sur la figure du jeune pâtre qui regarde avec bonheur sa belle compagne. Pour celle-ci, son adorable visage n’est pas même voilé d’une ombre légère : elle sourit, la main nonchalamment appuyée sur l’épaule du jeune homme, et elle n’a pas l’air de comprendre cette leçon donnée à la beauté, à la jeunesse et à l’amour. Je l’avoue, pour ce seul tableau, d’une philosophie si touchante, je donnerais bien des chefs-d’œuvre de coloris, tous les pâturages de Potter, tous les badinages d’Ostade, toutes les bouffonneries de Téniers.

Lesueur et Poussin, à des titres différens, mais à peu près égaux, sont à la tête de notre grande peinture du XVIIe siècle. Après eux, quels artistes encore que Claude le Lorrain et Philippe de Champagne !

Connaissez-vous en Italie ou en Hollande un plus grand paysagiste que Claude ? Et saisissez bien son vrai caractère. Regardez ces vastes et belles solitudes, éclairées par les premiers ou les derniers rayons du soleil, et dites-moi si ces solitudes, ces arbres, ces eaux, ces montagnes, cette lumière, ce silence, toute cette nature n’a pas une âme, et si derrière ces horizons lumineux et purs vous ne remontez pas involontairement, en d’ineffables rêveries, jusqu’à la source invisible de la beauté et de la grâce ! Le Lorrain est par-dessus tout le peintre de la lumière, et on pourrait appeler ses ouvrages l’histoire de la lumière et de toutes ses combinaisons, en petit et en grand, sur des plans larges ou dans les accidens les plus variés, sur la terre, sur les eaux, dans les cieux, dans son éternel foyer. Les scènes humaines jetées dans un coin du tableau n’ont d’autre objet que de relever et de faire paraître davantage les scènes de la nature par l’harmonie ou par le contraste. Dans la Fête villageoise, la vie, le bruit et le mouvement sont sur le premier plan ; la paix et la grandeur sont au fond du paysage, et c’est là qu’est véritablement le tableau. Même effet dans les Bestiaux passant une rivière. Le paysage placé immédiatement sous nos yeux n’a rien de bien rare, on le peut trouver partout ; mais suivez la perspective : elle vous conduit à travers des campagnes florissantes, une belle rivière, des ruines, des montagnes qui dominent ces ruines, et vous vous perdez dans des lointains qui se prolongent indéfiniment. Ce Paysage traversé par une rivière, où un pâtre abreuve son troupeau, ne dit pas grand’chose au premier aspect. Contemplez-le quelque temps, et la paix, une sorte de recueillement dans la nature, une perspective bien graduée,