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qui monte au ciel, soutenue pas des anges, accompagnée de deux jeunes filles couronnées de fleurs et portant la palme, symbole de la virginité. Saint Pierre et saint Paul montrent à saint Benoît le séjour où sa sœur va goûter la paix éternelle. Un léger rayon de soleil perce la nue. Saint Benoît est comme arraché à la terre par cette vision extatique. On ne désire guère une couleur plus vive, et l’expression est divine. Que ces deux jeunes vierges, un peu longues peut-être sont belles et pures ! que ces contours sont suaves ! que ces visages sont graves et doux ! La personne du saint moine, avec tous les accessoires matériels, est d’un naturel parlait, car elle reste sur la terre, tandis que sa figure, où reluit son âme, est tout idéale et déjà dans le ciel.

Mais le chef-d’œuvre de Lesueur est à nos yeux la Descente de croix ou plutôt l’ensevelissement de Jésus, déjà descendu de la croix, et que Joseph d’Arimathie, Nicodème et saint Jean placent dans le linceul A gauche, la Madeleine, en pleurs, baise les pieds de Jésus ; à droite, sont les saintes femmes et la Vierge. Il est impossible de porter plus loin le pathétique en conservant la beauté. Les saintes femmes, placées sur le premier plan, ont chacune leur douleur particulière. Pendant que l’une d’elles s’abandonne au désespoir, une tristesse immense, mais intime et recueillie, est sur le visage de la mère du crucifié : elle a compris le divin bienfait de la rédemption du genre humain, et sa douleur, soutenue par cette pensée, est calme et résignée. Quelle dignité dans cette tête ! Elle résume en quelque sorte tout le tableau et lui donne son caractère, celui d’une émotion profonde et contenue. J’ai vu bien des descentes de croix, j’ai vu celle de Rubens, à Anvers, où la sainteté du sujet a comme contraint le grand peintre flamand à joindre la noblesse et le sentiment à la couleur : aucun de ces tableaux ne m’a autant touché que celui de Lesueur. Toutes les parties de l’art y sont au service de l’expression. Le dessin est austère et fort : la couleur même, sans être éclatante, surpasse celle de Saint Bruno, de la Messe de saint Martin, de saint Paul, et même de la Vision de saint Benoît, comme si Lesueur eut voulu rassembler ici toutes les puissances de son âme, toutes les ressources de son talent.

Maintenant regardez les Muses, d’autres scènes, d’autres beautés, le même génie. Voilà des peintures païennes, mais le christianisme y est encore, par l’adorable chasteté que Lesueur a partout répandue. Tous les critiques ont relevé à l’envi les erreurs mythologiques où est tombé le pauvre Lesueur, et ils n’ont pas manqué cette occasion de déplorer qu’il n’eût pas fait, le voyage d’Italie et étudié davantage l’antique ; mais qui peut avoir l’étrange idée de chercher dans Lesueur un archéologue ? J’y cherche et j’y trouve le génie même de la