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une naïveté parfaite ; ses figures même sembleraient quelquefois un peu communes, tant elles sont naturelles, si un souffle divin ne les animait. Il ne faut pas oublier que ses sujets favoris n’exigent point une couleur éclatante : il retrace le plus souvent des scènes douloureuses ou austères, mais comme dans le christianisme, à côté de la souffrance et de la résignation, est la foi avec l’espérance, ainsi Lesueur joint au pathétique la suavité et la grâce, et cet homme me charme en même temps qu’il m’émeut.

Les ouvrages de Lesueur sont presque toujours de grands ensembles qui demandaient une méditation profonde et le talent le plus souple pour y conserver l’unité du sujet et y semer la variété et l’agrément. L’Histoire de saint Bruno, le fondateur de l’ordre des chartreux, est un vaste poème mélancolique, où sont représentées les scènes diverses de la vie monastique. L’Histoire de Saint Martin et de saint Benoît ne nous est pas parvenue tout entière : mais les deux seuls fragmens que nous en possédons, la Messe de saint Martin et la Vision de saint Benoît, nous permettent de comparer ce grand travail à tout ce qui s’est fait de mieux en ce genre en Italie, comme, a parler sincèrement, les Muses et l’Histoire de l’Amour nous paraissent égaler au moins la Farnésine.

Dans l’Histoire de saint Bruno il faut particulièrement remarquer saint Bruno prosterné devant un crucifix, le saint lisant une lettre du pape, sa mort, son apothéose. Est-il possible de porter plus loin le recueillement, l’anéantissement, le ravissement ? Les mystiques ébauches d’Angelico da Fiesole et de ses contemporains tant vantés, naïves et touchantes, mais sans aucune grandeur, languissent devant des compositions de cet ordre. Saint Paul prêchant à Ephèse rappelle l’École d’Athènes par l’étendue de la scène, par l’emploi de l’architecture, par l’habile distribution des groupes. Malgré le nombre des personnages et la diversité des épisodes, le tableau se rassemble tout entier dans saint PauL Il prêche, et à sa parole sont suspendus les assistans de tout sexe, de tout âge, dans les attitudes les plus variées. Voilà bien les grandes lignes de l’école romaine, son dessin plein en même temps de noblesse et de vérité ! Que de têtes charmantes ou graves ! que de mouvemens gracieux ou hardis, et toujours naturels ! Ici cet enfant aux cheveux bouclés, rempli d’un naïf enthousiasme ; là ce vieillard agenouillé et les mains jointes. Toutes ces belles têtes et aussi ces draperies ne sont-elles pas dignes de Raphaël ? Mais la merveille du tableau est la figure de saint Paul : c’est celle de Jupiter olympien, animée par l’esprit nouveau. La Messe de saint Martin porte dans l’âme une impression de paix et de silence. La Vision de saint Benoît est d’une simplicité pleine de grandeur. Du désert, le saint à genoux, contemplant sa sœur, sainte Scholastique,