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ADELINE PROTAT.

Son père ne lui répondit pas. Une chose l’avait frappé d’abord à son entrée dans la chambre ; c’était le nom de sa fille, formé très lisiblement sur la table par un assemblage de petits cailloux de différentes couleurs. Au-dessous du nom d’Adeline, celui de Zéphyr était écrit de la même façon, seulement avec des cailloux beaucoup plus communs que les autres.

— Ah ! fit le sabotier ; mais ce qui l’étonna plus que tout le reste, ce fut la découverte qu’il fit d’un fond de vieux bas qui contenait quatre-vingts francs en menue monnaie. — Ah ! ah ! continua-t-il sur deux tons différens.

— Eh bien, mon père ! s’écriait Adeline du jardin, et Zéphyr ?

Protat brouilla d’un revers de main les noms formés par les cailloux, qu’il dispersa dans la chambre, puis il se montra à la fenêtre. — Zéphyr n’est pas là, dit-il ; attends un peu, je vais voir si M. Lazare ne pourrait pas m’en donner des nouvelles. Et d’un coup de genou violemment appliqué à la porte du cabinet de son apprenti, Protat fit céder le pêne ; la porte s’ouvrit, et le sabotier fut dans le corridor. Il allait frapper à la porte de l’artiste, quand il se rappela que celui-ci l’avait prévenu qu’il avait l’intention d’emmener l’apprenti de grand matin en forêt : — Eh ! pardi, fit-il à sa fille, qui était venue le rejoindre, il est en route avec M. Lazare.

— Mais, — dit la jeune fille, qui, venant, pour se convaincre, d’entrer dans la chambre du peintre, avait aperçu le chevalet et la boîte de couleurs, — ils n’ont pas emporté les affaires. Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-elle tout à coup, Lazare n’a pas ses guêtres !

— Eh bien ? dit Protat qui ne comprenait pas.

— Et les vipères ? dit Adeline, devenue toute pâle et se tenant au mur.

— Ma fille ! dit Protat, qui reçut dans le cœur le contre-coup de ce cri d’effroi ; Adeline ! silence ! Les plus mauvaises vipères ne sont pas dans le bois. — Et, par une fenêtre du corridor qui donnait sur la rue, le sabotier désigna à son enfant, qui devina sa pensée, le village de Montigny, qui commençait à s’éveiller.

— Eh ! monsieur ! s’écria tout à coup la Madelon, qui montait l’escalier ; voilà des nouvelles !

Et elle tendit à sa jeune maîtresse une lettre que celle-ci décacheta avec curiosité.

— Mon père, mon père ! s’écria Adeline joyeuse en agitant la lettre ; c’est Cécile qui m’écrit ; elle vient passer huit jours avec moi ! Elle arrive par le convoi de trois heures ; elle sera ici à sept. Où allons nous la loger ? Tu lui donneras ta chambre.

— Non, répondit le sabotier en montrant la pièce occupée par Lazare, nous lui donnerons celle-ci.