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Cette question des lieux saints, ouverte depuis trois ans bientôt, a soulevé dans les derniers temps bien des débats qui sont loin de l’avoir éclaircie. Est-elle donc par elle-même si obscure, que l’on ne puisse clairement démêler de quel côté est le droit et la raison dans les conflits qu’elle provoque ? Entre la position de la France et celle de la Russie en Palestine, il n’y a, on le sait, aucune similitude, aucune analogie. Que fait la France, lorsqu’elle réclame la possession de certains sanctuaires de Terre-Sainte en faveur des religieux catholiques ? Elle protège des sujets français ou du moins francs qui relèvent directement de sa juridiction, qu’elle ne peut pas refuser de protéger sans manquer à ses devoirs envers ses nationaux ; enfin elle les protège en vertu de droits formels, écrits dans des traités connus sous le nom spécial de capitulations. La Russie vient-elle à Jérusalem pour protéger des sujets russes de religion grecque ? y vient-elle armée de droits écrits, de traités signés entre elle et la Porte ? Nullement. Le protectorat que la Russie réclame dans l’affaire des lieux saints, c’est celui de populations sujettes du grand-seigneur, qui ne sauraient logiquement relever d’elle. La Russie ne pouvait donc être appelée officiellement dans le débat élevé entre les religieux francs sujets de la France, représentés par elle, et les Grecs sujets du grand-seigneur, représentés par la Porte.

Il s’est cependant rencontré des écrivains pour soutenir une thèse opposée, et ce qu’il y a de plus étrange (c’est du moins un signe affligeant de la confusion d’idées dans laquelle nous vivons), c’est que ces écrivains appartiennent à ce que l’on est convenu, au milieu des luttes des dernières années, d’appeler le parti catholique. Il est vrai que ce parti contient des élémens politiques de nature à influer profondément en cette occasion sur sa manière de voir. En politique, à quelques exceptions près, le parti catholique professe le dogme de la légitimité, et la Russie passe pour être la représentation vivante de ce dogme. Nous n’hésitons pas à penser toutefois que la papauté serait singulièrement compromise le jour où les plans religieux de la Russie triompheraient en Orient, et que le même événement qui mettrait Sainte-Sophie aux mains des Russes pourrait bien ébranler quelque peu Saint-Pierre et le Vatican sur leurs fondemens. Ces réflexions nous sont suggérées par un écrit de M. Poujoulat intitulé la France et la Russie a Constantinople, et qui d’ailleurs ne rachète par aucune qualité de style des tendances anti-patriotiques et anti-catholiques pompeusement étalées sous prétexte d’une intelligence supérieure de la dignité de la France et des intérêts du catholicisme. De pareils écrits ne pourraient que nuire au parti qu’ils prétendent servir, et c’est à la sévérité particulière des légitimistes sincères, des catholiques véritablement convaincus, que nous signalons l’écrit de M. Poujoulat.

CH. DE MAZADE.


HISTOIRE DE L’ILE DE CHYPRE SOUS LE REGNE DES PRINCES DE LA MAISON DE LUSIGNAN, par M. L. de Maslatrie[1]

Parmi les grandes familles françaises qui prirent part aux croisades et qui s’illustrèrent en Orient, ou qui parvinrent à une haute position, est celle des Lusignans, dont le nom, popularisé

  1. 4 vol. in-8o, première partie ; Paris, Imprimerie Impériale.