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ressources. C’est là cependant une explication à l’abri de laquelle il ne faudrait pas trop s’endormir. Et puis cette explication aurait tout son poids, si l’accroissement qu’on remarque naissait du mouvement naturel et exclusif de la richesse, Si des contributions nouvelles n’avaient point été créées, si des impôts, nés souvent de circonstances temporaires, avaient disparu, si la fiscalité n’était point arrivée à un degré de perfectionnement tel qu’elle enlace les moindres opérations, les moindres mouvemens de l’existence. Nous savons bien que toutes les dépenses ont augmenté, que tous les besoins ont augmenté ; c’est une grande question de savoir si les ressources se sont accrues dans la même proportion. Il n’en faudrait pour preuve que ce paupérisme universel qui règne dans notre pays, souvent dans les hautes classes aussi bien que dans les classes les plus inférieures, cet éclat factice des fortunes qui s’évanouit au premier choc, cette vie besoigneuse, au jour le jour, que traînent les hommes de notre temps, cherchant partout le moyen de suppléer à d’insuffisantes ressources, l’un dans un emploi, l’autre dans quelque combinaison hasardeuse. Si on réfléchit bien, on verra qu’il n’y a point d’équilibre entre les besoins que les hommes de ce temps se sont créés, c’est-à-dire entre leurs dépenses, et les ressources légitimes de leur propriété, de leur travail ou de leur industrie, et c’est ce qui les met si souvent à la merci des corruptions et de tous les appâts de fortune que leur jettent chaque jour les inventeurs de recettes et de combinaisons merveilleuses. Nous ne connaissons pas de plus grande preuve de cette disproportion entre les besoins et les ressources que la popularité dont jouissent toutes les idées de crédit lancées dans le monde. Règle générale, ce sont surtout les emprunteurs qui font le succès de ces idées. Quoi qu’il en soit, le corps législatif va voter le budget de 1854 avec la satisfaction d’avoir introduit quelques économies nouvelles dans les dépenses et de laisser les finances publiques en équilibre. — Ce sera là sans doute le dernier vote par lequel le corps législatif terminera sa session, laissant le gouvernement seul en face du pays et maître d’une situation que nul symptôme bien appréciable, bien éclatant du moins, ne vient troubler.

Ce ne sont point en effet aujourd’hui des hostilités puissantes, des agitations ardentes d’opinions qui peuvent balancer l’action du gouvernement et être pour lui une cause d’embarras. Le pays est calme ; les opinions amorties subissent l’influence dissolvante du repos ; les partis, désorganisés et dispersés, se réfugient dans leurs souvenirs ; probablement même le meilleur moyen pour eux de se dépopulariser, ce serait de se remuer et d’agir : au fond, on pourrait ajouter qu’ils n’en ont guère envie. Il y a souvent pour un gouvernement des ennemis aussi dangereux que ses adversaires naturels : ce sont ceux qui mettent à l’abri de son nom leurs passions, leurs intérêts, leur besoin d’importance, leur zèle d’autorité. Chaque régime a ses pentes et ses écueils. Supposez un gouvernement comme celui de la révolution de février, c’est-à-dire l’absence de gouvernement ; aussitôt vous verrez, l’indiscipline et la révolte se glisser dans tous les rangs de la hiérarchie politique et administrative ; l’autorité sera conspuée sous toutes ses formes, sous la plus humble comme sous la plus haute. Les dépositaires du pouvoir eux-mêmes sentiront qu’ils n’ont plus dans les mains qu’une force énervée et dont ils craindront d’user. Qu’un régime s’élève pour donner l’ordre à un pays ; alors