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Il faut donc envisager le mystère comme une grande transformation que subirent les religions de l’antiquité au moment où, les imaginations enfantines des premiers âges ne pouvant plus satisfaire les nouveaux besoins de la conscience, l’esprit humain souhaita une religion plus dogmatique et plus sérieuse. Le polythéisme primitif, vague, indécis, livré à l’interprétation individuelle, ne suffisait plus à une époque réfléchie. L’incrédulité épicurienne, d’une part, avait trop beau jeu contre ces innocentes divinités ; d’un autre côté, des sentimens religieux plus élevés et plus délicats se faisaient jour aux dépens de la simplicité antique. Les aspirations au monothéisme et à une religion morale, aspirations dont le christianisme était la plus haute expression, gagnaient dans tous les sens : le paganisme lui-même ne pouvait s’y soustraire. Je n’admire que médiocrement, je l’avoue, cette tentative dont Julien a porté la responsabilité aux yeux de l’histoire. Autant la mythologie primitive me paraît aimable et belle dans sa naïveté, autant ce néopaganisme, cette religion d’archéologues et de sophistes me paraît niaise et insignifiante. Le sens de la beauté, qui faisait le fonds de la religion hellénique, semble se perdre. Les dieux monstrueux de l’Orient, conçus en dehors de toute proportion, remplacent les harmonieuses créations de la Grèce. Le Deus mgnus Pantheus, Dieu occulte et sans nom, menace de tout envahir. Le culte aboutit au sanglant taurobole, le sentiment religieux se réfugie dans des scènes d’abattoir. On a recours au sang pour apaiser des dieux irrités et jaloux. Au milieu de tout cela, impossibilité absolue de fonder un enseignement moral, quelque chose qui, de près ou de loin, ressemble à l’homélie chrétienne.

C’est pour n’avoir envisagé la religion antique qu’à ce moment de décadence, qu’on l’a en général si mal jugée. Il faut avouer qu’à l’époque de Constantin ou de Julien le paganisme était une religion fort médiocre, et que les efforts que l’on fit pour le réformer n’aboutirent à rien de bien satisfaisant. La critique toutefois ne saurait adopter sans restriction le mouvement d’opinion qui l’a condamné. Si elle accepte le fond du jugement, elle ne peut que se récrier sur la partialité des considérans. La polémique sous laquelle succomba le paganisme fut lourde, violente, de mauvaise foi, comme toutes les polémiques. Chose étrange ! rien ne ressemble plus à l’attaque par laquelle le XVIIIe siècle crut en finir avec le christianisme. Rien de plus analytique, de plus inintelligent, on pourrait presque dire de plus voltairien. Aucun dogme n’aurait tenu contre de tels assauts. Lisez le Persiflage d’Hermias, les écrits de Tatien et d’Athénagore contre le paganisme ; on croirait entendre Voltaire ricanant, sur les naïvetés de la Bible, ou travestissant lui-même, par la bouche du père Nicodème, les doctrines qu’il poursuit de sa haine. Les controversistes en général, ne songeant qu’à trouver leur adversaire en défaut, résistent rarement à la tentation de présenter comme ridicule la doctrine qu’ils combattent, afin de se donner l’avantage de découvrir l’absurdité qu’ils y eut mise : procédé commode, car il n’est rien qui ne puisse être pris par le côté ridicule, mais procédé redoutable, car il se retourne infailliblement contre ceux qui l’emploient ! Quelques pères en usèrent avec une effrayante prodigalité. La plupart, s’emparant avidement du système d’Evhémère, se tirent une arme contrôle paganisme du paganisme mal interprété ; ils s’attaquèrent