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non la forme de ses œuvres, mais le fond, ce serait remonter au véritable auteur de ces pages incomparables, à celui qui les a conçues, créées, inspirées ; ce serait parler non plus de Marc-Antoine, mais de Raphaël, sujet trop riche pour l’aborder incidemment ; nous nous bornerons donc à avoir tenté d’éclaircir, par le rapprochement de quelques faits, l’histoire des phases principales un talent de Marc-Antoine, et l’action décisive et toute-puissante que Raphaël a exercée sur lui.

On peut dire que ces deux hommes étaient prédestinés l’un à l’autre : non qu’il y eût entre les services qu’ils étaient appelés à se rendre, par plus qu’entre leurs génies, la moindre égalité ; mais ce fut pour le maître une heureuse fortune qu’un instrument si docile et si intelligent ; Par lui, sa gloire n’a peut-être pas grandi, elle s’est du moins étendue ; sans compter que ces admirables gravures, en même temps qu’elles propageaient les pensées du peintre, ont servi à en arracher un grand nombre de l’oubli. Mais en revanche que de bienfaits l’élève n’avait-il pas reçus ! D’abord son talent, car dans ses propres mains les dons qui lui venaient de la nature seraient restés pour ainsi dire stériles ; puis sa fortune, nous ne parlons par des sommes considérables que l’auteur des dessins abandonnait au graveur en lui permettant de vendre ses estampes sans autre rétribution qu’une part dans les profits de Baviera, son broyeur de couleurs ; nous parlons de cette autorité prépondérante, de cette suprématie dans son art qui fut pour Marc-Antoine la conséquence immédiate du patronage de Raphaël. Peu après l’apparition de sa seconde planche, le Jugement de Pâris, cette merveille qui causa dans Rome un si profond étonnement (ne stupi tutta Roma, dit Vasari), les disciples commencèrent à se grouper autour de lui et à lui faire cortège comme au maître lui-même. On vint de tous les points de l’Italie : Agostino di Musi vint de Venise, Marco Dente vint de Ravenne, deux hommes qui profitèrent si bien de ses leçons et l’imitèrent si parfaitement, qu’il faut parfois y regarder de près pour ne pas confondre leurs œuvres avec les siennes. Après les Italiens vinrent les étrangers : d’abord les Allemands, puis les Flamands eux-mêmes. La réaction était rapide. Cet engouement pour les estampes étrangères qui naguère possédait l’Italie, les étrangers le ressentaient à leur tour pour les estampes italiennes, c’est-à-dire en réalité pour ce style si pur et si exquis dont le graveur bolonais était devenu le représentant. C’était à Raphaël que l’hommage était rendu, mais le succès profitait au graveur. Le comble de sa fortune fut de voir jusqu’aux disciples d’Albert Dürer accourir dans son atelier, et l’école de celui qui la veille il était l’humble imitateur venir se fondre peu à peu dans la sienne. Etrange mouvement auquel le grand artiste de Nuremberg