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il voulait acquérir des qualités pratiques que les Allemands seuls possédaient. Il fallait donc qu’il étudiât, qu’il imitât les Allemands, et l’attrait qui l’attirait de ce côté devint bien plus puissant encore quand il eut révélation du génie d’Albert Durer, quand les estampes du grand artiste eurent pénétré en Italie.

On les reçut à Bologne presque aussitôt qu’à Venise, n’en déplaise à une historiette répétée, sur la foi de Vasari, par tous les biographes de Marc-Antoine. À les en croire, ce serait à Venise, en 1509, lorsqu’il avait déjà trente ans, que Marc-Antoine aurait connu pour la première fois le talent d’Albert Durer. En passant devant Saint-Marc, il aurait par hasard aperçu dans les mains d’un marchand d’images un certain nombre d’estampes gravées sur cuivre et sur bois par le maître de Nuremberg, entre autres les trente-sept feuilles de la Passion de Jésus-Christ, et bien vite il les aurait acquises, vidant sa bourse dans la main du marchand, et dépensant ainsi d’un seul coup tout l’argent destiné à son voyage ; puis on ajoute que l’idée lui vint ce jour même de copier sur cuivre ces compositions gravées sur bois par l’auteur. Or comme il a réalisé ce projet, comme il a gravé d’après Albert Durer non-seulement ces trente-sept planches de l’histoire de la Passion, mais dix-sept planches représentant la vie de la sainte Vierge, plus seize autres planches de sujets détachés, savoir en tout soixante-neuf planches, et comme ces copies étaient toutes terminées et publiées avant qu’il partit pour Rome en 1510, on peut répondre hardiment que ce n’est pas en 1509 qu’il les avait commencées ; jamais un tel travail ne se fût accompli en une seule année, c’est déjà presque un prodige si en trois ou quatre ans il a pu être exécuté. On sait d’ailleurs, par une preuve authentique, que plus de trois ans avant d’être allé à Venise, avant sa prétendue trouvaille de la place Saint-Marc, Raimondi travaillait d’après Albert Durer, puisqu’une des planches copiées par lui, le saint Jean et le saint Jérôme (n° 643 du catalogue de Bartsch), porte une date qui n’est pas dans l’original (n° 112 de l’œuvre de Dürer), et qui a été évidemment ajoutée par le copiste ; cette date est 1506. En rappelant ce fait, qui infirme nécessairement l’anecdote de Vasari, M. Delessert fait observer qu’en cette même année 1506 Marc-Antoine avait pu voir à Bologne non-seulement les œuvres, mais la personne d’Albert Dürer, puisque dans une des lettres adressées à son ami Pirckheimer, lettre écrite de Venise et datée du quatorzième jour après la Saint-Michel 1506, Dürer raconte qu’il est sur le point de partir pour Bologne et que son dessein est d’y passer dix ou douze jours[1]. Il est à présumer qu’il fit cette excursion

  1. Voyez le petit in-24 de M. P. Campe, publié à Nuremberg en 1828, et intitula Reliquien von Albrecht Dürer, p. 30 et 31.