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Milan, que des estampes étrangères. Ce travail précieux, ces tailles franches et moelleuses excitaient des transports d’admiration. Le public en était épris presque autant que les gens du métier. On peut dire sans exagération que pendant dix ou quinze ans l’Italie raffola de Martin Schongauer. Sous ce nom, on désignait alors, comme on l’a fait longtemps, et le maître de 1466 et tous les graveurs primitifs allemands, suisses ou flamands. Chose étrange qu’un pareil engouement, même passager, chez ces Italiens si exclusifs, si dédaigneux en matière d’art, si convaincus, comme autrefois leurs pères, les Romains, qu’en dehors de leur presqu’île tout n’était que barbarie ! D’où leur venait ce goût si contraire à leurs penchans ? Comment acceptaient-ils ces formes dépourvues de noblesse et de correction, cette bonhomie triviale et souvent grossière ? Ils cédaient à un puissant attrait, la perfection du métier, et à la nouveauté, autre amorce non moins puissante. On se laisse aller si aisément et sans y prendre garde à la séduction d’un travail exquis et délicat ! et pour des esprits un peu blasés par la constante admiration de beautés d’un certain ordre, c’est quelque chose de si piquant et de si tentateur qu’un système tout nouveau qui dépayse et rafraîchit les impressions. Puis, il faut bien le dire, tout n’était pas systématiquement trivial dans les œuvres de Schongauer et de ses habiles contemporains. À. côté de figures grotesques et de types plus que vulgaires, il y avait des visages de vierges, des têtes de chérubins d’une grâce parfaite, d’une ravissante candeur, beautés peu méridionales, il est vrai, mais unissant au charme d’une certaine nouveauté l’attrait d’une pureté presque irréprochable. Quoi qu’il en soit et quelque explication qu’on adopte, il est un fait certain, c’est que vers le dernier quart du XVe siècle, à la faveur d’invasions réitérées de ces estampes venues du Nord, une sorte de goût prosaïque, étranger au terroir, se répandait en Italie. Les traces s’en voient partout, notamment dans la peinture. À l’altération des types, on sent que les yeux du public commencent à se familiariser avec un certain germanisme. La contagion est encore faible, mais que de ravages elle pouvait faire, si le triple ascendant de Léonard, de Raphaël et de Michel-Ange n’était venu l’arrêter !

Il ne faut donc pas s’étonner que Marc-Antoine à son âge, et graveur avant tout, se soit épris de ces nouveautés, qu’il ait cherché des leçons dans les estampes du maître de Colmar plutôt que dans les tableaux du peintre bolonais, et qu’il n’ait pris pour modèle ni Baldini, ni Robetta, ni Benedetto Montagna, ni Pollaijuolo, ces estimables et pâles continuateurs de Finiguerra, ni même Andréa Mantegna, malgré sa grande et libre façon de traiter le burin, manière de peintre plutôt que de graveur. Ce n’était pas là ce qu’il cherchait ;