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qu’il y a des choses qu’elle seule sait exprimer, que parce qu’elle est d’un prix que tout le monde ne peut atteindre. Elle vivra d’une vie factice, comme une plante de serre chaude, comme une industrie subventionnée, à la façon de Sèvres et des Gobelins. Il y a loin de là, sans doute, aux jours de sa jeunesse, à cette explosion de faveur populaire et d’étonnement sympathique qui accueillit, ses premiers essais. La joie était si grande alors dans tous les cœurs d’artiste ! Un théâtre si vaste et si nouveau s’ouvrait à leur pensée ! La publicité de leurs œuvres, quelle enivrante perspective ! C’était pour eux le Nouveau-Monde que l’impression des estampes. Le même élan, la même ardeur qui emportait au-delà des mers le hardi navigateur, poussait l’artiste au maniement du burin, à la recherche de ses secrets, de ses ressources. À peine éclose, l’invention florentine s’était répandue, comme par une commotion électrique, dans tous les lieux d’Europe où les arts étaient cultivés. Elle apparaissait à Bruges, à Colmar, à Nuremberg, presque en même temps qu’à Florence et à Bologne, et partout elle éveillait les mêmes transports, la même émulation : partout elle enfantait, du premier coup pour ainsi dire, d’inimitables chefs-d’œuvre.

C’est là, dans l’histoire de l’art, une phase qui ne ressemble à aucune autre. Jetez-y les yeux, aussitôt vous rencontrerez la figure de Marc-Antoine. Il apparaît tout d’abord, non qu’il soit venu des premiers dans la lice, non qu’il n’ait hors d’Italie des rivaux à sa taille, mais parce qu’un lien indissoluble attache à son nom un autre nom, parce que, indépendamment de sa propre puissance, il en a emprunté une qu’aucune autre n’égale. Marc-Antoine n’est pas seulement un des plus fins, des plus savans, des plus résolus praticiens qui aient jamais manœuvré le cuivre ; il est le représentant de la pensée de Raphaël, le confident et le révélateur d’une portion de ce génie divin : c’est par là qu’il domine tout.

Ce peu de mots indiquent et résument d’avance ce que nous avons à dire de Marc-Antoine.

À lui seul qu’eût-il été ? Un des maîtres de son art, cela ne fait pas question. Il était né graveur. Quelque direction qu’il eût prise, sa main eût été sûre, spirituelle, énergique, naïve et précise à la fois. Il eût marché de pair avec Lucas de Leyde et Albert Durer ; moins suave que le premier, moins hardi que le second, luttant d’habileté technique avec eux, ne les surpassant pas. Pour les vaincre, ou du moins pour prendre dans l’opinion des hommes une place à part, un rang plus élevé, il fallait changer de terrain, ne pas viser seulement à la perfection du métier, tendre à la simplicité, à la grandeur du style. C’est ce qu’a fait Marc-Antoine dans la seconde moitié de sa