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hanté les écoles, il avait suivi pas à pas, dans son long apprentissage, le peintre et le sculpteur, tandis que, sans rien savoir, avec un peu d’adresse et deux ou trois notions de physique et de chimie, on devient, quand on veut, photographe.

Tout cela n’est que trop vrai. Ce n’est pas seulement la gravure, c’est l’art lui-même qui serait atteint, si le burin succombait dans cette lutte avec les procédés mécaniques ; si la révolution commencée par lui il y a quatre siècles se poursuivait désormais contre lui. La gravure est déjà une vieille puissance : on veut la détrôner, c’est trop juste ! L’art n’est-il pas en butte aux mêmes contagions que la Société ? Il faut s’attendre à tout ; mais, jusqu’à nouvel ordre, y a-t-il lieu de sonner l’alarme ? De quoi s’agit-il ? de la reproduction des dessins. Eh bien ! quand la photographie parviendrait à imiter les dessins aussi parfaitement qu’elle contrefait les estampes, tout serait-il donc perdu ? Ne resterait-il pas au burin sa plus belle et sa plus noble part, le don d’interpréter un tableau, c’est-à-dire l’intelligence et le sentiment ? Pour tout instrument, quel qu’il soit, ce sont des fruits défendus. Calquer des traits et des hachures, à la bonne heure ; mais copier, rien qu’avec du noir et du blanc, les variétés de la couleur, les dégradations de la lumière, les profondeurs de la perspective, et mieux que cela, les passions de l’âme, copier en interprétant, il faut la main de l’homme pour ce genre de besogne, lui seul a le droit d’y toucher. Aussi, tant qu’on fera des tableaux, des tableaux qui vaudront la peine d’être interprétés et traduits, soyez tranquilles, le burin survivra.

Mais fera-t-on longtemps des tableaux ? C’est une autre question. Au train dont va ce monde, nous n’en voudrions pas répondre. De progrès en progrès, on peut aboutir à tout, même à la peinture mécanique. Ne fait-on pas déjà grand cas de la lithochromie ? La machine à peindre existe donc, il ne s’agit que de la mettre en vogue par quelque invention nouvelle, et bientôt la peinture à la main ne sera plus qu’une antiquaille soutenue seulement par quelques entêtés ! De deux choses l’une, ou le flot démocratique cessera de monter, ou l’ère de la lithochromie brillera sur la France. Pour le coup, nous ne le contestons plus, la taille-douce aura cessé de vivre, et la photographie régnera sans rivale.

Arrêtons-nous : ce sont là de mauvais rêves qu’il faut laisser aux esprits chagrins. Après tout, notre temps, si béotien qu’il soit, sait encore acheter les tableaux et les paie à beaux deniers comptans, comme s’il les aimait. À défaut d’enthousiasme et de goût, nous avons, pour soutenir les arts, le luxe et la vanité. C’est un secours qui peut durer longtemps. Pour ne parler que de la gravure au burin, elle vivra, soyez-en sûr, en dépit des concurrences, moins encore parce