Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

songe, et aussi trop volontiers cruels. Les historiens grecs avaient noté ce trait de leur caractère. Il est à remarquer que les peuples livrés aux plaisirs, habitués à s’abandonner à tous les caprices de la volupté et aux raffinemens de la mollesse, sont sujets à perdre ce sentiment d’humanité qui nous fait compatir aux souffrances d’autrui.

Enfermée au milieu des terres, la Perse proprement dite n’a pas de grand fleuve qui favorise son commerce. Sur les bords de la mer Caspienne, le commerce et l’industrie se soutiennent encore ; les navigateurs russes fréquentent la rade de Balfrouch, ville de cent mille âmes, toute peuplée d’artisans et de marchands. C’est là le côté le plus vivant de la Perse. Par malheur, dans ce vaste empire, les routes sont longues, mal entretenues et peu sûres ; il faut transporter les denrées et les articles de commerce à dos de chameau ou de mulet. Dans les provinces lointaines, trop distantes du centre, les ressorts de l’administration sont détendus ; le désordre et l’anarchie y règnent presque sans cesse. Des populations indisciplinées se livrent impunément au brigandage ; l’agriculture souffre, et la misère devient le partage des laboureurs paisibles qui essaient de rendre aux vallées et aux plaines leur ancienne fertilité. Les Kurdes, qui n’appartiennent point à la même famille que les Persans, forment un peuple nombreux et difficile à contenir. Dans le Khorassan campent quelques tribus des Turcomans, que les migrations ont amenées là des stoppes de la Tartarie. L’oasis de Khouhis, dans le Kerman, sert de retraite à des hordes de brigands toujours prêts à piller les caravanes qui se dirigent vers Kandahar. Chrétiens grecs, catholiques et nestoriens, musulmans, chyites et sunnites, se partagent ce territoire si vaste. Arméniens, Chaldéens, Assyriens, Parthes, Médes, toutes les nations qui ont brillé à leur moment pour s’éclipser ensuite, s’y retrouvent encore disséminés, comme les temples et les palais des religions et des dynasties qui ne sont plus.

Outre la diversité des peuples sur lesquels elle étend sa domination, ce qui fait encore la faiblesse de la Perse, c’est son isolement au milieu de l’Asie. Séparée des grandes nations musulmanes par le schisme chyite, elle n’inspire pas de sympathie à la Turquie et le lui rend bien. Du côté de l’est, elle rencontre l’Angleterre, qui remonte obstinément le long du golfe Persique et la force à se retirer des bords de l’Océan Indien. Du côté de l’ouest et du nord, elle se sent pressée par la Russie, aussi jeune et pleine d’avenir et d’ambition qu’elle est elle-même vieille, affaiblie et décrépite. Elle a perdu jusqu’à l’énergie que donne le fanatisme ; elle hait les sunnites et les chrétiens, mais le sentiment religieux est effacé en elle. Le sensualisme le plus effréné s’est emparé de ce peuple, énervé de tous temps par le luxe et la mollesse. La vie semble donc se retirer de ces contrées où elle se manifesta jadis avec tant d’éclat. Y a-t-il une régénération