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plus sensible que, par un étrange contraste, les vêtemens, les meubles, tous les accessoires en un mot, semblent pour ainsi dire animés et vivans. Grâce à leur immobilité, la lumière les atteint et les frappe sans jamais altérer leur surface ; ils posent admirablement, et sont par la même reproduits d’une façon si nette et si complète qu’ils en acquièrent une saillie, un relief et je ne sais quoi de piquant qui exagère leur importance. Tout est donc, d’un côté, épaissi, grossi, déformé, l’œil est mort ou parfois fixe et hagard, la bouche grimaçante, la main lourde et massive, tandis que de l’autre, tout est fin, tout est précis, tout, jusqu’aux plus imperceptibles détails, est délicatement exprimé.

Quand les Flamands, de la pointe de leur pinceau, s’amusent à tracer maille par maille la plus transparente dentelle, à découper soit le plus mince ruban, soit la plus subtile écorce de citron, ils font au moins le même honneur à la figure humaine. Le temps qu’ils passent à brillanter le satin d’une robe, ils ne le refusent pas à velouter les joues ou les épaules de celle qui la porte. C’est la nature vue du petit côté, du côté microscopique ; mais au moins dans cet ensemble factice on retrouve un certain reflet de l’harmonie de la nature. Avec la photographie, cette harmonie disparaît. L’instrument suit sa pente fatale : il accuse outre mesure ce qu’il est apte à exprimer ; il altère, il dénature ce qui lui résiste et lui échappe. L’accessoire devient le principal : tout est brouillé et confondu.

S’ensuit-il qu’il faille prendre en dégoût cette merveilleuse invention ? Autant vaudrait maudire la vapeur, l’électricité, toutes les découvertes de la science moderne, parce que les progrès qu’elles engendrent ne sont pas dépourvus de quelques inconvéniens. Si la photographie ne servait qu’à fabriquer des portraits, ce serait un maussade cadeau que nous aurait fait la science : mais à combien d’emplois utiles ne peut-on pas l’appliquer ! que de services ne peut-elle pas rendre à l’archéologie, aux arts mécaniques, aux sciences naturelles ! Toutes les fois qu’il n’est question que de calquer des objets inanimés, des pierres, des métaux, elle a sur la chambre claire, sur tous les autres procédés de reproduction où la main de l’homme est un auxiliaire nécessaire, la plus incontestable supériorité ; elle opère plus exactement et plus vite. Mais ce qu’elle fait le mieux sans contredit, c’est ce que lui a demandé M. Delessert, c’est-à-dire le fac simile d’estampes et d’imprimés, d’objets planes et sans saillies, n’ayant besoin d’être ni traduits ni interprétés, et pouvant se reproduire tels qu’ils sont. Les monumens, les bas-reliefs, les statues, tous les corps immobiles, mais saillans, risquent de n’être copiés qu’avec de légères altérations provenant de la différence des plans et île la déviation de certaines lignes droites sur la courbe de l’objectif.