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Comme les deux bras d’un fleuve qui se séparent au sortir de la source, les deux nations se sont éloignées l’une de l’autre dès les premiers âges pour accomplir leurs destinées particulières. Placée au centre du vieux monde, la Perse a été en relations, dans le cours de sa longue existence, avec toutes les nations fameuses de l’antiquité. Son histoire se lie à celle des Hébreux, des Assyriens, des Mèdes et des Grecs. À tous les siècles, nous la voyons paraître avec ses rois des rois et ses satrapes du voisinage à l’extrême horizon, au milieu de l’Asie remuante et agitée dont elle est le symbole. Tantôt gouverné par des princes sages et glorieux, tantôt foulé par des monarques enivrés de leur puissance, l’empire des Perses jette autour de lui les rayons de sa splendeur orientale. L’Inde au contraire ne se révélait point à l’Europe, si ce n’est de loin en loin par des récits inattendus. La société indienne se développait mystérieusement aux bords du Gange et de la Djamouna, à la façon de l’ascète qui se cache sous l’ombre des forêts pour pratiquer en paix ses austérités. Bien qu’elle ait été civilisée à sa manière depuis une trentaine de siècles, l’Inde a gardé quelque chose de primitif : elle est ignorante plutôt qu’abâtardie. On sent qu’elle est encore vivante malgré les vicissitudes qu’elle a éprouvées. Il y a sur cette terre féconde un peuple attaché a son passé, naïf et patient, qui cultive et travaille. En est-il de même en Perse ? Non, certes. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les grandes villes et les campagnes des deux pays.

Dans l’Inde, il a surgi des cités nouvelles ou la population abonde ; le nombre des anciens monumens encore debout dépasse de beaucoup celui des édifices détruits par le temps ou par la main des hommes. Du glorieux passé de la Perse antique il ne reste guère que des mines dont la splendeur fait mieux ressortir encore la misère du présent ; on y retrouve à peine l’ombre de la grandeur des derniers siècles. Dans la noble cité d’Ispahan, où Chardin signalait une population de six cent mille habitans, on en compte à peine deux cent cinquante mille aujourd’hui. La vie et le mouvement n’animent plus son immense bazar, long de plus d’une demi-lieue. Le Méïdan, que les voyageurs regardent comme la plus vaste place du monde, semble désert : à peine quelques tentes s’y dressent en un coin. Au temps d’Abbas-le-Grand, les caravanes remplissaient ce grand carré qui était l’entrepôt de tout le commerce de l’Orient. Tauriz a déchu dans la même proportion ; les guerres et les tremblemens de terre ont détruit les édifices qui en faisaient la beauté. Ruinée par les Afghans en 1722, Ispahan n’a jamais pu reconquérir le rang qu’elle occupait parmi les cités les plus florissantes du monde. Téhéran fut aussi dévastée par les hordes de l’Afghanistan ; mais, devenue, la capitale de l’empire, elle s’accrut au lieu de s’amoindrir. Tou-