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faciles à comprendre ; aussi devint-elle bientôt populaire. Les bouchots se multiplièrent et s’étendirent sur plusieurs rangs. On n’attendit plus que le hasard des courans et des vagues vînt apporter les jeunes moules jusqu’aux pieux et aux clayonnages, on alla les ramasser parfois à des distances considérables et jusque sur le plateau de Chatelaillon[1]. En même temps l’industrie se perfectionna, se systématisa pour ainsi dire, et chacune de ses opérations reçut un nom qui, emprunté à un tout autre ordre d’idées, pourrait faire croire que deux boucholeurs causant de leurs affaires s’entretiennent d’agriculture.

Les petites moules écloses au printemps portent le nom de semence. Elles ne sont guère plus grosses que des lentilles jusque vers la fin de mai. À partir de cette époque, elles grandissent rapidement, et en juillet elles atteignent la taille d’un haricot. Alors elles prennent le nom de renouvelain et sont bonnes à transplanter. Pour cela, on les détache des bouchots placés au plus bas de l’eau et on les place dans des poches faites en vieux filets, que l’on fixe sur des clayonnages moins avancés en mer. Les jeunes moules se répandent tout autour de la poche et s’attachent à l’aide des filamens que les naturalistes désignent sous le nom de bissus. À mesure qu’elles grossissent et que l’espace commence à leur manquer, on les éclaircit et on les repique sur de nouveaux pieux de plus en plus rapprochés du rivage. Enfin on plante sur les bouchots les plus élevés les moules qui ont acquis toute leur taille et sont devenues marchandes. C’est là que se fait la récolte. Chaque jour, une énorme quantité de moules fraîchement cueillies sont transportées en charrette ou à dos de cheval à La Rochelle et sur quelques autres points d’où les expéditeurs les envoient jusqu’à Tours, Limoges et Bordeaux. Bientôt sans doute, grâce aux chemins de fer, elles viendront jusqu’à Paris, et les gourmets pourront comparer les moules sauvages que nous expédient la Normandie et le Boulonais avec les produits perfectionnés par l’industrie de Walton.

Les chiffres suivans recueillis par M. d’Orbigny il y a une vingtaine d’armées feront juger de quelle importance est cette industrie pour le pays. En 1834, les trois communes d’Esnandes, Charron et Marsilly, représentant une population de 3,000 âmes, possédaient 310 bouchots, dont le prix d’établissement est évalué par l’auteur à 696,660 francs. Les dépenses annuelles d’entretien représentaient la somme de 386,240 francs, y compris l’intérêt du capital engagé, et le prix des journées de travail que n’a pas à débourser un propriétaire exploitant par lui-même. Le revenu net est estimé à 364 francs

  1. Lors de notre visita à ce plateau, nous y trouvâmes au moins cinquante chariots venus d’Esnandes, de charron et de Marsilly, dans le seul but de recueillir et d’emporter des moules pour les bouchots de ces trois communes.