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exposés par M. d’Orbigny père dans une brochure imprimée en province, et par cela même trop peu connue ; c’est elle qui nous a fourni les détails qui vont suivre[1].

En 1035, une, barque irlandaise, chargée de bêtes à laine, vint, à la suite d’une tempête, se briser sur les rochers à demi-lieue d’Esnandes, et les marins de ce port, accourus au secours des naufragés, ne purent sauver que le patron. Celui-ci, nommé Walton, ne tarda pas à payer largement ce service. Il croisa quelques moutons échappés au naufrage avec des bêtes du pays, et créa ainsi une belle race, très estimée encore aujourd’hui sous le nom de moutons du Marais. Puis il imagina les filets d’allouret, qui, tendus un peu au-dessus du niveau de la pleine mer, arrêtent au passage des vols entiers de ces oiseaux de rivage qui rasent l’eau au crépuscule ou dans l’obscurité. Mais pour que la chasse fût fructueuse, il fallait aller au centre de l’immense vasière où ces oiseaux trouvent leur nourriture, et y planter des piquets propres à maintenir des rets de trois à quatre cents mètres de long. Wallon inventa le poussepied ou acon, qui sert encore aujourd’hui. L’acon est une espèce de nacelle assez semblable par sa forme à la toue qui figure sur les rébus. Une planche de bois dur, appelée sole, en constitue le fond. Cette planche se recourbe en avant de manière à former une sorte de proue plate. Trois planches légères, clouées sur les côtés et à l’arrière, complètent cette espèce d’embarcation, qui n’a que deux ou trois mètres de long sur cinquante à soixante centimètres de large. Une courte perche et une pelle en bois composent tout l’équipement Pour se servir de l’acon, on s’agenouille sur une jambe en laissant au dehors l’autre, qui est recouverte d’une longue boite. Celle-ci doit servir à la fois de rame et de gouvernail. Le pêcheur, en équilibre sur la sole, serrant fortement les deux bordages, enfonce son pied libre dans la vase, atteint une couche un peu plus ferme et pousse en avant. L’acon glisse sur la vase fluide, et, grâce à cette manœuvre pénible, les Esnandais vont quelquefois avec une rapidité telle que j’avais quelque peine à leur tenir pied en marchant à grands pas sur le rivage.

Le mode de locomotion que nous venons de décrire exige un sol mou et uni. Or tous les ans, à la suite des gros temps d’hiver, la baie, dans toute son étendue, présente une singulière transformation. La vase semble s’être moulée sur les vagues et en avoir conservé la forme. Du nord au midi s’étendent, parallèlement au rivage, de longs sillons presque régulièrement espacés et hauts parfois de plus d’un mètre. Pendant la haute mer, la crête de ces sillons assèche et se durcit aux

  1. Histoire des Parcs ou Bouchots à moules des côtes de l’arrondissement de La Rochelle, par M. C.-.M.-D. d’Orbigny père ; La Rochelle, 1847.Los recherches de statistique que renferme ce mémoire sont antérieures et avaient servi à combattre un projet d’assèchement qui eût ruiné les communes riveraines de la baie de l’Aiguillon.