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maisons souveraines. Souvent ils furent en guerre avec les puissans comtes de Poitou et les ducs d’Aquitaine. Plus tard, Chatelaillon compta parmi ses suzerains les Richemont et les Dunois. C’était alors une forte ville, entourée de hautes murailles et ceinte de fossés profonds. À ses pieds s’étendait un havre de grand abord, et tout navire qui passait dans ses eaux devait mettre pavillon bas, sous peine d’amende. De tout cela, il ne reste plus traces ; murailles et fossés sont tombés dans la mer. En 1660, sept tours, qui faisaient jadis face à la campagne, surplombaient encore la baie. Les tempêtes d’un seul hiver emportèrent ces derniers débris. Au commencement de ce siècle, pendant les guerres de l’empire, un fort s’éleva sur la pointe ; à son tour, il s’est éboulé. Aujourd’hui, un modeste corps de garde de douaniers a succédé à ces forteresses de deux âges ; mais il ne repose pas sur leurs débris. Sur cette falaise qui manque sous eux, tours ou bastions n’ont pas le temps de laisser des ruines, et, comme des soldats frappés à leur poste, ils tombent tout entiers.

MM. Viviers et Beltrémieux, deux de ces hommes trop rares chez qui l’ardeur scientifique résiste aux préoccupations et à l’isolement de la province, me conduisirent, par une belle marée de septembre, à cette côte qui recule toujours. Mes guides portaient le sac et le marteau des géologues, et, par un reste d’espérance, je pris, avec ma pioche, qui pouvait servir à deux fins, des tubes et des flacons. À Angoulin, nous gagnâmes la plage, que couvrent sur ce point d’énormes blocs, formés tantôt entièrement de polypiers, tantôt de coquilles et de débris d’oursins pétrifiés. Certes partout ailleurs cette localité m’eût fourni une ample récolte ; mais jusqu’à deux pas des roches, qui ne couvrent jamais, arrivait un lit de vase molle, et force me fut de renoncer aux animaux vivans, d’imiter mes compagnons et d’attaquer à coups de pic la mine de fossiles ouverte devant nous. À Chatelaillon, même mécompte. Cette fois j’en avais pris mon parti d’avance, et j’admirai sans arrière-pensée le curieux spectacle de la côte. Au-dessus de nous s’élevait la falaise, alors dans l’ombre, semblable à un immense mur perpendiculaire veiné de larges bandes presque horizontales. Ça et là faisaient saillie comme autant de tourelles appliquées à sa surface d’énormes masses de terrain qui semblaient détachées de toutes parts et prêtes à tomber. De nombreux débris aux cassures vives nous apprenaient que l’éboulement pouvait avoir lieu d’un instant à l’autre, et semblaient nous avertir de hâter notre récolte de fossiles. Au nord, l’île de Ré et la pointe Chef-de-Baie semblaient prêtes à se rejoindre ; à l’ouest, en face de nous, le pertuis d’Antioche ouvrait une large échappée de vue sur l’Atlantique, qui prend ici le nom de mer sauvage ; au midi, la pointe de Fouras et l’île d’Oléron barraient presque entièrement le pertuis de Maumusson. Au milieu de ce bassin, semblable à une sentinelle