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des promontoires. Tôt ou tard la côte jadis si accidentée au nord de la Gironde, de la pointe de la Coubre jusqu’à Longueville, sera presque aussi uniforme que celle qui s’étend au midi, de la pointe de Grave jusqu’à Saint-Jean de Luz. Tout au plus, de légers festons, formés par l’alternance de platains[1] et de pointes, apprendront-ils à nos neveux qu’il y eut là de profondes baies, des caps avancés, des presqu’îles.

Qu’il s’agisse des temps anciens ou des temps modernes, la formation de terres nouvelles se constate à la fois par l’observation directe et par les témoignages historiques ; presque toujours la tradition seule témoigne des empiètemens de la mer, et ce dernier genre de preuves laisse parfois à désirer. La formation, depuis l’époque romaine, de la baie du Mont-Saint-Michel, la séparation, au moyen âge seulement, de l’île de Sésambre, aujourd’hui placée à deux lieues en face de Saint-Malo, sont des faits plutôt probables que certains ; mais en Saintonge on ne saurait conserver de doute sur la puissance érosive des flots. Ici, des cités puissantes ont croulé avec les falaises qu’elles dominaient, et l’océan, après avoir réduit leurs ruines en limon, emporte chaque jour quelque chose aux terres qui en dépendaient. L’histoire nous a conservé les noms et les annales de ces villes, et, guidé par elle, l’œil reconnaît sans peine sur les cartes de M. Beautemps-Beaupré, aux inégalités du fond, les sinuosités de l’ancien rivage[2].

À trois lieues environ au midi de La Rochelle, on trouve la pointe de Chatelaillon, séparée de l’île d’Aix par un bras de mer de 6,000 mètres. Au moyen âge, on allait à pied sec de l’une à l’autre, et l’on trouvait en route deux villes. L’existence de Monmeillan ne nous est connue que par un procès-verbal authentique rapporté par un ancien annaliste de La Rochelle[3]. Il n’en est pas de même de Chatelaillon. Celle-ci fut longtemps la principale ville de l’ancien Aunis, et son autorité s’étendait sur La Rochelle. Fondée, dit-on, par Jules César, fortifiée par Charlemagne, à ce qu’assure Arcère, elle devint, dès avant le XIIe siècle, une baronnie considérable, parfois titrée de principauté. Les Isambert, ses premiers seigneurs, s’allièrent aux

  1. On donne le nom de platain à une anse très évasée, a rive basse, borée de vase, de sable ou de galets, et comprise entre deux pointes de rochers peu avancées en mer.
  2. Atlas hydrographique des côtes de France, carte du pertuis d’Antioche et de la rade d’Aix, levée en 1824.
  3. Amos Barbot, cité par Arcère, qui a eu souvent recours à son manuscrit. Voici un passage de ce procès-verbal : « Cette ville (Monmeillan) était placée entre Chatelaillon et l’île d’Aix, à laquelle cité et à ladite île on pouvait aller par terre et à pied sec de basse mer, selon ce que rapportaient des anciens, et avoir veu gens qui y avaient passé. » Ce procès-verbal est de 1430, et des expressions précédentes on peut conclure que cent ans au plus avant cette époque, c’est-à-dire dans le courant du XIVe siècle, la communication existait entre l’île et le continent.