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leur synagogue auprès de sa chambre et l’empêchaient de dormir par leurs chants depuis le point du jour est vraiment piquante[1]. La mort du roi Henri II (1379) lui inspira d’assez nobles accens ; mais la composition la plus originale que nous ayons de lui, c’est celle qu’il adressa au chancelier Ayala. Ce fameux chroniqueur s’étant plaint apparemment du climat variable des montagnes de la Navarre, Ferrus s’évertue à lui faire honte de sa mollesse, et il passe en revue les grands hommes qui ont bravé la bise, les neiges et les temps d’orage. Voici quelques passages de ce spirituel poème :

« Alexandre, dont le génie, asservit le monde, ne se laissa intimider par la bise pas plus que par les rires et les plaisirs. La crainte du nord-ouest n’inspira jamais à Scipion un seul acte dont il eût à se repentir[2].

« Annibal aurait-il réalisé la conquête des Espagnes, franchi les Alpes, assiégé Rome, triomphé dans les batailles, s’il eût ainsi redouté la grêle ou la neige ?

« Josué, Abdar, Cédéon, chefs des Hébreux ; Judas, avec les Machabées, le roi David, Absalon, tout Juifs qu’ils étaient, n’ont jamais été arrêtés dans leurs exploits par les frimas.

« Et si le fameux Cid avait eu peur des averses, aurait-il vaincu un si grand nombre de comtes et de rois ? Aurait-il conquis Valence, qui lui fut plus soumise qu’elle ne l’avait jamais été au calife Walid. »

C’est encore parmi les plus anciens poètes dont Baena ait recueilli les chants qu’il faut classer L’archidiacre de Toro. Il appartient vraisemblablement, ainsi que Ferrus, au règne de Pierre le Cruel, qui monta sur le trône en 1350. Ses vers, écrits en dialecte galicien, dont plusieurs troubadours castillans se servaient par une espèce de mode, se distinguent par la suavité de la pensée et de l’expression. La ballade où il fait ses adieux au monde « avant sa mort » respire la plus délicate mélancolie. Il ne faut pas cependant se laisser prendre à cette apparence de vérité. Quand il poussait ce dernier gémissement d’un cœur qui s’arrache du monde à regret, l’archidiacre de Toro jouissait probablement d’une santé parfaite. La ruse du poète est dévoilée dans la pièce no 315, qui est une desfecha (sorte de commentaire) des Adieux. L’archidiacre y déclare qu’il a l’intention de s’exiler du monde, parce que sa passion est malheureuse. Ce poète avait d’ailleurs une prédilection pour ce thème de rapproche de la mort. Il l’appliquait même aux sujets plaisans, comme l’atteste son Testament, pièce bizarre où se trouvent confondus retours

  1. Cette pièce commence par quatre vers octosyllabes d’une structure parfaite :

    Con tristesa é con enojos
    Que tengo de mi fortuna,
    Non pueden dormir mis ojos
    De veynte noches la una…

  2. Alyxandre que conquiso
    Todo el mundo por esfuerzo,
    Non ovo miedo del cierzo
    Mas que del plaser é rysso :
    E nin fyso Cypyon,
    Por miedo de rregañon (norueste)
    Cosa de que fué rrepiso (arrepentido), etc.