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quelle logique inexorable il sait développer les argumens par lesquels il cherche à rabaisser l’orgueil de Villasandino : « La Providence serait bien en défaut, si toute l’intelligence humaine était concentrée en vous. Un cœur sans culture est quelquefois plus éloquent que les plus grands docteurs. Ne médisez pas des autres. Confiez votre éloge à vos œuvres. Affranchissez-vous de l’envie. Qui vous dit que ceux qui vous semblent ignorans n’en savent peut-être pas plus long que vous ? Dieu accorde à tout le monde ses faveurs et ses dons. De même qu’il a fait de vous un homme d’élite savant et profond, il saurait bien en créer d’autres plus intelligens que vous. »

Soumis comme tous ses contemporains à l’influence de l’esprit scolastique, Lando n’en avait pas moins un sens critique qui le portait instinctivement à condamner les travers intellectuels de ses contemporains : « Souvent, disait-il, les subtilités des grands théoriciens ne sont qu’une vile littérature[1]. » Quoiqu’il fût assez bien en cour, les soucis politiques ne lui manquèrent pas. Lorsqu’on exila sa cousine Inès de Torrès ainsi que son ami Johan Alvarez Ossorio, son mécontentement éclata, comme il était alors d’usage, en invectives contre le sort. « Ton trône est partout, dit-il à la Fortune. La persévérance, à quoi sert-elle, si ceux qui font les plus nobles efforts ne se voient récompensés ni par toi ni par le monde ? » La faveur dont il jouissait en Castille était néanmoins assez grande pour que la reine Catherine l’ait chargé de porter à son frère le roi d’Aragon, de compagnie avec don Juan de la Camara, la couronne qui avait appartenu à Jean Ier. Il était petit-fils d’un chevalier français, Pierre de Lando, compagnon de Duguesclin, qui, ayant épousé une dame espagnole, se fixa en Castille après le retour en France des grandes compagnies. Dans une des notes imprimées à la fin du Cancionero de Baena, on accuse Lando d’avoir dérogea sa naissance en s’abaissant à demander de l’argent à la reine, de la même façon qu’aurait pu le faire un troubadour roturier ou dégradé. L’auteur de cette même note prétend en outre que Lando était d’un âge avancé en 1414. Ces conjectures nous semblent tout au moins hasardées : elles s’appuient sur la pièce n° 68 du recueil ; mais il n’existe aucune raison plausible pour attribuer à Lando cette pièce, qui appartient très vraisemblablement à l’ignoble répertoire des requêtes poétiques de Villasandino, elle en a du moins le style et les allures. Nulle production de Lando n’autorise à croire qu’il fût descendu à crier misère en termes si vulgaires. L’opinion que ses contemporains avaient de lui dément cette supposition[2].

La carrière de Gonzalo Martinez de Médina ne fut pas aussi brillante que celle de Lando. On sait uniquement de ce poète, jusqu’ici inconnu, qu’il était en 1404 veinticuatro (chevalier-échevin) de Séville. C’est un des combattans les plus hardis de cette phalange de troubadours philosophes qui exhalaient le sentiment du malaise social de leur époque en apostrophes violentes contre les abus du monde et en plaintes amères contre la destinée. Il emploie parfois ce symbolisme obscur du moyen âge dont nous n’avons plus la clef. Souvent aussi son langage est clair et franchement agressif.

  1. Que algunas vegadas son lettras muy viles
    Estas sotilesas de grand theorysta.

  2. Le respectable marquis de Santillana l’appelle honorable calallero.