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éclater. Les éphores punirent avec leur secret ordinaire un petit nombre de coupables ; mais, dans cette occasion, ils purent voir les sentimens du peuple qu’ils gouvernaient. « Plébéiens, domiciliés, hilotes, au rapport de Xénophon, étaient tous prêts à suivre Cinadon ; tous détestaient les Spartiates et voulaient les manger crus. »

Tandis que au dedans comme au dehors s’amassait une tempête formidable contre l’empire de Sparte, le relâchement des mœurs de la caste privilégiée lui faisait perdre parmi les Grecs l’estime mêlée d’aversion qui faisait la plus grande partie de sa force. Des conquêtes lointaines avaient éparpillé ses guerriers sur le continent européen et même en Asie. Les éphores, peut-être pour se débarrasser d’une jeunesse inquiète et dangereuse, commençaient la guerre contre le grand roi. Ils soulevaient les villes grecques de l’Asie Mineure, et leur offraient, non point la liberté, mais un protectorat presque aussi onéreux que la domination persane. Le moment de la plus grande puissance apparente de Sparte était celui de sa faiblesse réelle. Une insigne perfidie détermina une explosion qui devait délivrer la Grèce.

Phœbidas, capitaine Lacédémonien, traversait la Béotie avec un petit corps de troupes. Il trouva les Thébains agités par des factions et disposés à la guerre civile. D’abord il se posa en arbitre, entra dans Thèbes ; puis, avec l’aide de quelques mauvais citoyens, toujours prêts à recourir à l’étranger dans leurs discordes intestines, il s’empara par surprise de la citadelle et s’y fortifia. Le scandale et l’indignation furent énormes dans toute la Grèce, et ce qui y mit le comble, c’est que les éphores, tout en désavouant Ploebidas pour la forme, maintinrent et renforcèrent même la garnison lacédémonienne dans la citadelle de Thèbes. « L’action était blâmable, disaient les Spartiates, mais utile. » Ce mot répondait à tout, et levait tous les scrupules, si de tels hommes en eurent jamais.

Une si odieuse infraction du droit des gens eut la récompense qu’elle méritait. Thèbes jusqu’alors avait été sans influence politique ; on s’était accoutumé à la regarder comme un pays déshérité du génie hellénique, qui ne produisait que des athlètes ou des poètes, et qui ne pouvait donner à la Grèce ni un capitaine ni un homme d’état. Thèbes fut réhabilitée le jour où elle osa lever l’étendard de la révolte contre l’oppression lacédémonienne. Deux hommes éminens se révélèrent tout à coup, qui donnèrent à l’insurrection une force irrésistible. Pélopidas et surtout Epaminondas transformèrent la tactique. Avant eux, les batailles n’avaient été que des chocs où les plus braves, les plus adroits, les mieux exercés, remportaient la victoire ; ils firent des Thébains les soldats les plus manœuvriers de la Grèce. À la bataille de Leuctres, Épaminondas trompa les Lacédémoniens sur le point de son attaque, et tomba en masse sur une partie