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aux promenades intra muros et extra, on n’y avait mis qu’une seule condition, la plus simple, — à savoir que la voiture serait toujours accompagnée d’une escorte de pandours chargés de caracoler aux portières le sabre nu.

George-Guillaume tint parole et ne revit jamais sa fille. On sait ce dont ce prince était capable en fait d’entêtement et ce que valait son imprescriptible dixi ! Heureusement ce sont là des sermens que les mères ne prononcent pas. La duchesse de Celle n’abandonna point Sophie-Dorothée. De temps en temps, l’infortunée captive voyait du haut de sa tour à créneaux arriver le carrosse de sa mère ; c’étaient alors quelques jours de fête dans la prison, peu à peu cependant les visites devinrent moins fréquentes, et alors entre la mère et la fille s’établit une correspondance, laquelle même avait déjà cessé depuis plusieurs années quand mourut Eléonore d’Olbreuse.

À l’époque où le prince-électoral de Hanovre, son époux, devint roi d’Angleterre sous le nom de George Ier, Sophie-Dorothée, après diverses tentatives d’évasion malheureuses, semblait avoir perdu tout espoir de recouvrer jamais sa liberté. George, soit que ses remords l’obsédassent, soit qu’il pensait qu’un rapprochement avec sa femme lui concilierait le cœur de ses sujets, George fit offrir à la duchesse d’Ahlden de revenir prendre à ses côtés sa place d’épouse et de reine ; mais la superbe Sophie-Dorothée, inflexible jusqu’à la fin dans son orgueil comme dans ses rancunes, refusa toute espèce d’accommodement. « Si j’ai commis, dit-elle, le crime dont il m’a jadis accusée, je suis indigne de sa couche, et si je suis innocente, c’est lui que je trouve indigne de moi. Mieux vaut rester où nous en sommes. »

1,’étude et les beaux-arts étaient venus avec le temps apporter quelque soulagement à ses misères, quelques heures de consolation à sa solitude. Elle aimait la musique et chantait en s’accompagnant du clavecin ; elle avait de plus ce goût des vers qui se montre si naturellement comme à la surface des plus agréables natures de ce siècle ; Sophie-Dorothée aimait volontiers à s’attendrir sur son propre martyre dans un style affecté jusqu’au pédantesque, et qui, dans sa forme ampoulée et majestueuse, rappelle assez certains mausolées où l’élégie en deuil arrondit avec une grâce étudiée ses beaux bras blancs chargés de l’urne des sanglots. Ce qu’il y avait au fond du funèbre et cher mausolée, c’était le souvenir du beau Kœnigsmark, ineffable souvenir embaumé dans la myrrhe et l’ambre, et qui ne contenait désormais pour elle qu’une douce et paisible mélancolie, tant l’amour s’épure à distance, tant les cendres du cœur ont d’exquises émanations pour qui sait les garder intactes !


H. BLAZE DE BURY.