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sous le bras, il s’approche en saluant de l’air doux et poli d’un savant besoigneux. Pieds nus, — il a laissé ses babouches à la porte, — le turban sur les yeux, il s’assied sur une chaise avec l’embarras d’un homme habitué à replier ses jambes sous lui, et la leçon commence. Ce n’est pas la science qui manque au munschi : il parle et écrit, tant bien que mal, trois ou quatre langues ; mais, comme il les a toutes apprises de routine, y compris la sienne, il lui est excessivement difficile de les enseigner avec quelque méthode. Heureusement, la leçon dégénère en causerie ; le maître, cédant sa place au disciple, se laisse interroger avec complaisance, et pour peu que les entrevues se prolongent pendant quelques mois, on en sait assez pour s’entendre avec des serviteurs… qui parlent l’anglais. En somme, le munschi vous apprendra bien des choses qui ne sont pas dans les livres ; par exemple, il vous dira que le gouvernement de l’honorable compagnie des Indes plaît beaucoup aux natifs, sauf quatre points : le papier timbré, l’immixtion de l’état dans la partie du code qui regarde les femmes, la taxe qui pèse sur toutes sortes de terres et de terrains, et l’emploi de la langue persane dans toutes les cours de justice. L’Hindou, qui tient à l’argent, n’ignore pas que l’issue d’un procès est toujours douteuse, et il hésite à faire les frais d’une feuille de papier timbré du prix énorme de un franc soixante centimes ! La justice des nababs coûtait-elle moins cher ? Est-ce donc un mal aussi que la loi anglaise empêche un mari hindou de retenir par force la femme qui demande à se séparer de lui ? La question des taxes n’est pas de celles qui se peuvent juger facilement en aucun pays, et quant à l’emploi d’une langue universelle dans les cours de justice, — que cette langue soit le persan ou l’hindoustani. — c’est une mesure qui a pour but de donner plus d’unité à ce vaste pays, composé d’élémens si divers. En se substituant au grand Mogol, la compagnie a entendu régner comme lui, — et plus que lui, — sur toute l’Inde ; et comme l’islamisme avait pénétré partout, comme le persan était la langue des nababs, il devenait naturel que le gouvernement nouveau adoptât l’emploi de cet idiome d’une façon générale. Ce sont là des questions de détail : cependant il est facile de voir qu’elles touchent les natifs dans leurs préjugés et dans leurs intérêts, peu importe à l’Hindou quel maître le gouverne, — clitellas dùm portem meas ! — mais il redoute le fisc, qui prélève sa part sur les produits d’un travail pénible. Il tient à l’idiome de sa province, et se défie des lois qui peuvent restreindre l’omnipotence du maître de maison, le pater familias de la société indienne.

Le munschi remplit donc les fonctions de maître d’école et d’écrivain public, et aussi celle de secrétaire des princes musulmans, dont il partage lui-même la croyance. Il a pour pendant, au sein de la société idolâtre de l’Inde, le pandit. Celui-ci est brahmane ; il a étudié