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si les choses vont trop loin, que vous dirai-je ? il faudra bien qu’il fasse comme les autres et qu’il se fâche !

C’était la première fois que Sophie-Dorothée entendait un pareil langage dans la bouche de l’électeur. Cette bonhomie cynique, ce ton aigre-doux, ce persiflage caressant, parurent à la princesse le comble de l’outrage. Elle essuya ses pleurs, et, ripostant par le mépris à d’indignes équivoques, parla de provoquer une enquête.

— Gardez-vous-en, petite hypocrite,gardez-vous-en bien, continua l’électeur de la même voix pateline et railleuse. Par bonheur, Kœnigsmark est absent ; mais il reviendra, je le rappellerai, car j’imagine que son éloignement ne sert qu’à favoriser la médisance. Ainsi profitez de mes conseils, et gouvernez plus sagement vos amourettes.

— Monseigneur, s’écria la princesse, je vois que je suis victime de la plus notre des calomnies ; mais j’en aurai justice, et maintenant il me faut des preuves !

— Des preuves ! vous en aurez, ma belle enfant ; rassurez-vous !

À ces mots, Ernest-Auguste tira d’un coffret un gant de femme, et, retournant la peau, fit voir à Sophie-Dorothée les initiales P. G. K. (Philippe-Christophe Koenigsmark) brodées à l’intérieur en perles et en cheveux. La princesse prit le gage accusateur, et, tandis qu’elle le contemplait d’un calme imperturbable et d’un air de dignité suprême que nous constatons sans oser croire qu’une semblable altitude puisse être jouée : — Eh bien ! ma fille, dit l’électeur, ce travail ? ces cheveux ? ces initiales ? Est-ce clair ? et nierez-vous encore ?

— Oui, monseigneur, et jusqu’à mon dernier souffle dévie, répliqua Sophie-Dorothée. Ces cheveux ressemblent aux miens, je l’avoue ; mais la sœur de Mme de Platen a, vous le savez, les mêmes cheveux que moi, et si vous cherchez au fond de cette lâche intrigue, vous y trouverez la main de la comtesse.

— Elisabeth vous en veut, j’en conviens, et le ciel me préserve d’ajouter foi à tous les bruits qu’elle colporte ! Mais ce gant tout pareil à ceux que George vous rapporta de Hollande et que vous reconnaissez pour vous avoir appartenu, ce gant qui se retrouve ensuite en la possession du comte, brodé à son chiffre avec vos cheveux, dites, comment expliquerez-vous cette énigme-là, je vous le demande ?

— Par une indigne trahison, monseigneur, par une de ces manœuvres du démon qui confondraient l’innocence d’un ange ; mais je jure ici devant Dieu…

— Ne jurez pas, madame, ne jurez pas, interrompit Ernest-Auguste, dont le masque de Silène prit soudain une expression tragique et menaçante. Je peux ignorer une faiblesse, pardonner une faute ; mais l’hypocrisie et le mensonge ne trouveront jamais grâce devant