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et avec eux ces adorables médisances que M. de Kœnigsmark excellait à débiter : Mme de Platen par-ci, Mme de Platen par-là ; pas un trait ne manquait à la satire, pas un dard au sarcasme envenimé. Les passions de la sultane favorite, ses désordres, ses goûts, jusqu’à ses plus secrètes habitudes, servaient de texte à l’insolent causeur, dont la verve effrontée ne respectait ni l’alcôve de cette femme ni son cabinet de toilette. Insensé Kœnigsmark ! chacune des infamies que tu débites te sera payée en temps et lieu ! Encore, si jamais tu ne devais la revoir, cette créature sur laquelle tu secoues la honte et l’ignominie ; mais non, arrogance ou faiblesse, tu iras toi-même au-devant de sa vengeance. De toutes les chaînes de ce monde, il n’en est pas de plus vigoureuse, de plus solide, de plus irrévocable que celle de deux êtres liés ensemble par la perversité de leurs instincts : ils s’aiment dans la haine, ils se haïssent dans l’amour, et il faut que l’âcre volupté d’un si monstrueux sentiment soit bien irrésistible, pour qu’en dépit des efforts qu’ils font pour s’éviter, ils reviennent toujours à leur indissoluble hyménée, jusqu’à ce que l’un des deux étouffe l’autre dans un suprême embrassement.


III

Pendant ce temps, que se passait-il à Hanovre ? Un soir, l’électrice Sophie, accompagnée de sa belle-fille et de quelques dames, s’était rendue sur l’une des plates-formes du château pour y observer une éclipse de lune à l’aide d’un certain télescope de nouvelle espèce inventé par M. de Leibnitz. L’expérience astronomique terminée, on reconduisit jusqu’à son appartement son altesse électorale, et chacun, ayant pris congé, se retira. La princesse Sophie-Dorothée rentrait chez elle, s’appuyant sur le bras de Mlle de Knesebeck et précédée de Mme de Sassdorf, qui marchait en avant munie d’une lanterne. Arrivée à l’un de ces labyrinthes comme il s’en trouve à chaque pas dans le vaste et sinistre palais des électeurs de Hanovre, Mme de Sassdorf prit à droite au lieu de prendre à gauche, et la petite escorte suivit assez longtemps cette direction avant de s’apercevoir qu’elle faisait fausse route. Puis, comme on revenait sur ses pas, la maladroite éclaireuse, voulant regagner le temps perdu, alla donner contre un mur avec sa lanterne, laquelle se brisa du coup et s’éteignit. Force fut donc de chercher son chemin à travers d’immenses dédales, où seulement de loin en loin brillait la mèche opaque d’un quinquet. Les trois belles égarées erraient ainsi depuis vingt minutes, s’enfonçant de plus en plus en des allées froides et sinueuses, lorsqu’il leur sembla qu’elles foulaient le sol d’un corps de logis attenant au château,