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de sa favorite. Ainsi provoquée, la jalouse Roxane doubla le nombre de ses espions, soudoya une des femmes de Sophie-Dorothée, et, quant à elle, acquit bientôt la certitude de la perfidie de Kœnigsmark et du crime de la princesse ; mais cette certitude, les preuves lui manquaient pour la faire partager à l’électeur, dont la nonchalante indifférence poussait à bout cette nature de Médée. Elisabeth en était à ce point de frénésie et de misère, lorsque le parjure revint tout à coup renouer sa chaîne. Kœnigsmark avoua une partie de sa faute, nia le reste, et ses embrassemens scellèrent la réconciliation. La fière comtesse était trop amoureuse et trop affolée pour croire sans réserve aux protestations de son amant. Plus elle idolâtrait cet homme, et plus elle tremblait de le perdre ; lui cependant l’enivrait de tendresse et de bonheur, la plaisantant sur ses doutes et sa méfiance, réfutant ses craintes chimériques, discutant ses soupçons. — Et qu’est-ce donc, lui disait-il alors, que ces prétendus rendez-vous avec la princesse que vous me reprochez ? Visiter une femme en présence de trois respectables dames de compagnie qui ne la quittent pas plus que son ombre, de son Turc Soliman, et dans le perpétuel va-et-vient des gens qui entrent et qui sortent, voilà-t-il pas, sur mon honneur, un bien grand crime ! et ne mérité-je point d’être pendu ? — Puisses-tu ne pas mentir, Philippe ! soupirait alors la pâle comtesse ; car si tu me trompais,… vois-tu,… malheur à toi !

Kœnigsmark savait, à n’en plus douter, que Mme de Platon était femme à tenir parole. Il s’agissait donc de lui en ôter les moyens. Fatigué d’ailleurs du rôle indigne qu’il jouait et désespérant de prolonger davantage l’erreur d’une maîtresse à ce point exigeante et vindicatives il résolut d’en finir par un coup d’éclat. — Il n’y a plus à reculer, pensait-il ; une minute maintenant peut tout perdre, et, si je ne la devance, je suis un homme mort ! Le cardinal de Richelieu avait, dit-on, élevé une panthère qui faisait autour de lui l’office d’une chatte apprivoisée. Un matin que sa panthère lui léchait la main, le cardinal sentit, à l’ardeur des caresses, qu’il allait être dévoré, et tua l’animal d’un coup de pistolet. Je ne tuerai pas cette femme, mais je la perdrai, et si bien, vive Dieu ! que la drôlesse ne s’en relèvera pas !

Le soir du jour où Philippe de Konigsmark eut cet aparté avec lui-même, la comtesse de Platen donnait le bal à toute la cour dans son hôtel. Vers minuit, au milieu du tourbillon de la fête, Elisabeth et son amant disparurent à peu près comme Zerline et don Juan dans le finale du second acte de l’opéra de Mozart. Personne n’avait remarqué leur absence, et les plaisirs suivaient leur cours. On dansait en ce moment une polka suédoise, mise à la mode par M. de Kœnigsmark, et dans laquelle figurait son altesse électorale la princesse