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entrée fut un triomphe, et les femmes ne purent retenir un mouvement d’approbation à la vue de ce jeune et brillant cavalier si bien pris dans son justaucorps d’uniforme, si distingué dans ses manières, qu’on sentait que dans les boudoirs, comme sur les champs de bataille, il était fait pour soutenir la double gloire de son nom. Parmi les belles dames de la cour de Hanovre que les mérites de M. de Kœnigsmark impressionnèrent tout d’abord, il y en eut une dont l’admiration ne put se modérer. Elisabeth de Platon, qui s’était tant promis de ne point perdre des yeux sa rivale et d’observer sur le visage de Sophie-Dorothée l’émotion qu’y produirait l’arrivée de Kœnigsmark, Elisabeth oubliait la tâche qu’elle s’était imposée ; tantôt rougissante elle-même, tantôt pâle, elle ne songeait plus à surveiller les mouvemens de la princesse.

— Vous venez de Dresde, monsieur le comte ? dit Ernest-Auguste à Koenigsmark, et son altesse électorale vous distinguait fort, à ce qu’on m’assure.

— J’ai eu l’honneur en effet, monseigneur, d’approcher l’électeur de Saxe, mais c’est surtout avec son noble fils, le prince héréditaire Frédéric-Auguste, que je me fais gloire d’être lié.

— Vous l’avez accompagné dans ses nombreux voyages ? fit la comtesse de Platon en usant du droit qu’elle s’arrogeait habituellement de se mêler à la conversation, et dites-nous, monsieur, est-il vrai que ce prince possède une force physique si extraordinaire ? On prétend qu’il rompt un fer à cheval aussi facilement qu’on divise une pomme et peut d’un coup de poing assommer un bœuf ?

— Cette histoire n’a rien d’exagéré, madame, et j’ajouterai que dans notre famille on est capable de pareils exploits.

— Oui-da, monsieur, j’avais cru cependant jusqu’ici que les facultés de ce genre n’appartenaient qu’à la maison de Saxe, dit Elisabeth en dardant sur Philippe un de ces regards auxquels le sang de Kœnigsmark ne se méprit jamais.

Philippe s’inclina devant les altesses, salua respectueusement Sophie-Dorothée ; mais à travers la rapide révérence qu’il fit au prince George, Mme de Platen, qui déjà ne quittait plus sa proie, intercepta comme un éclair de haine. — Il parait, murmura l’infernale créature, que l’antique flamme a survécu !

Elisabeth de Platen n’était pourtant pas la seule dont la venue du comte de Kœnigsmark eût troublé le cœur. Il y avait à la cour de Hanovre une autre personne qui n’avait pu voir sans émotion le galant colonel aux gardes : c’était Sophie-Dorothée. La princesse, depuis son mariage, n’avait jamais rencontré aucun des deux premiers prétendans à sa main. Le prince de Wolfenbüttel s’était marié par désespoir, et par désespoir aussi Philippe de Kœnigsmark