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si l’irritable comtesse était oubliée ! Ce n’était que des coups d’épingle, mais ils piquaient au cœur, et la Platen ne pardonnait pas. Elisabeth était plus belle, mais Sophie-Dorothée était plus jolie ; elle avait pour elle en outre la nouveauté, le rang, la jeunesse, et surtout cet aimable don de l’esprit, la plus irrésistible des séductions, et qui, en multipliant ses triomphes, préparait sa perte. C’est une vieille histoire, et qui se reproduit à chaque instant : en France, en Angleterre, en Allemagne, les exemples de ce genre abondent. Qu’il s’appelle Marie-Stuart, Henriette-Marie ou Marie-Antoinette, qu’il s’agisse de la reine d’Ecosse, de l’élégante femme de Charles Ier ou de l’aristocratique compagne de Louis XVI, partout vous retrouvez ce type charmant qui semblait revivre en Sophie-Dorothée. Cette princesse de tant d’esprit et d’agrément, ayant sur la lèvre le mot piquant à côté du sourire, dut impatienter dès le premier jour l’altière courtisane, habituée à régner par la luxure. Au fond, ce que vous retrouverez ici, c’est encore l’éternelle lutte du positif et de l’idéal, de l’élégance et de la brutalité, de la poésie et de la prose, en un mot et surtout de la grande dame et de la parvenue.

Il va sans dire qu’à dater de ce moment, il y eut deux cours à Hanovre, et que la comtesse redoubla d’efforts pour grouper autour d’elle le plus grand nombre d’attentifs et d’affidés. Outre ses appartemens au palais, Mme de Platen avait en ville un hôtel, véritable résidence de sultane. Là, tous les jours, il y avait, table ouverte, toutes les nuits, on dansait, on jouait, on soupait. Le duc aimait fort ces réunions, et comme il y venait souvent, c’était pour Elisabeth autant d’occasions de l’indisposer contre sa bru, et d’obtenir certaines menues grâces. Ce fut ainsi qu’elle négocia le rappel de sa sœur, Mme de Busche, qu’on avait éloignée. Elle espérait que le retour subit de l’ancienne maîtresse du prince George apporterait quelque trouble dans le jeune ménage, mais les charmes de Catherine de Meissenberg étaient désormais oubliés, et l’intrigue avant échoué, Mme de Platen essaya d’un autre expédient.

Parmi les demoiselles d’honneur de la duchesse de Hanovre, il y en avait une dont la ravissante beauté avait un moment préoccupé l’envieuse Elisabeth. Mlle Mélusine de Schulenbourg (Mélusine était bien le nom d’une pareille magicienne) avait des yeux bleus d’une indéfinissable langueur, un minois adorable, une taille de palmier et dix-neuf ans. Par quel singulier retour d’humeur, la comtesse de Platen changea-t-elle tout à coup ses façons d’agir envers cette jeune fille, et, d’impertinente qu’elle était, devint-elle aimable et gracieuse à son égard ? On apprit bientôt à la cour le secret d’une transformation si soudaine, et ce secret, c’était tout simplement que Mme de Platen avait des vues sur la séduisante Mélusine, et songeait à la donner