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Oui, le lotus est le symbole de l’Inde, particulièrement de l’Inde ancienne, avant la conquête musulmane, avant l’occupation anglaise surtout. Cependant ce ne sont pas les souvenirs de l’antiquité que cherche le voyageur allemand. Sans s’arrêter aux traditions des siècles passés, il raconte ce qu’il a éprouvé, ce qu’il a vu. Dans nos universités, s’est-il dit, il y a beaucoup de savans qui étudient l’Inde dans ses livres et se chargent d’en expliquer au monde des érudits les mystérieux symboles. Pourquoi le public du nord de l’Europe n’accueillerait-il pas avec faveur ces feuillets d’album dessinés d’après nature, sur lesquels sont inscrits les noms de tant de cités célèbres ? Et le voyageur a cousu ses notes, ses réflexions, sans ordre, sans prétention apparente. Il affecte même d’aller d’un lieu, d’un sujet à un autre, à la manière de l’abeille qui voltige au hasard sur les fleurs d’une prairie, et finit cependant par les visiter toutes. Il est résulte de là un livre attachant, qui ne ressemble nullement à un itinéraire, et qu’on lit avec un grand plaisir, tout en regrettant peut-être que l’auteur se soit trop tenu en garde contre les élans de l’imagination et de l’enthousiasme.

Certes, l’auteur de Patmakhanda n’appartient pas à cette classe de voyageurs qui, à force d’avoir cherché à connaître d’avance, par les livres, les pays vers lesquels ils marchent, rêvent des régions imaginaires. Quand la réalité s’offre à eux, quand se présente enfin la rive désirée, ils s’affligent de ne pas trouver réunies, comme en un cadre, toutes les merveilles dont leur imagination est remplie. Des montagnes qui ressemblent à d’autres montagnes, des hommes peu différens par la couleur de leur peau et la forme de leurs vêtemens de ceux qu’on rencontre ailleurs, des arbres plus ou moins touffus et élevés, et sous leurs branches des oiseaux qui gazouillent comme partout, — est-ce là ce qu’on attendait ? Cependant peu à peu s’efface de l’esprit l’image fantastique, les nuances que l’on n’avait pas saisies d’abord se détachent sur l’ensemble du tableau, et l’on ne tarde pas à reconnaître quelle infinie variété Dieu a su répandre sur des mondes semblables en apparence. D’ailleurs, l’aspect général des lieux n’eût-il rien d’extraordinaire à première vue, il suffit que l’homme porte l’empreinte d’une civilisation particulière pour que l’attention soit éveillée, pour que l’inattendu se révèle : c’est le visage humain qui donne à un pays sa physionomie véritable. Que sera-ce donc si l’on aborde une contrée comme l’Inde, où tout est étrange, extraordinaire, où tout parle aux yeux et à l’esprit, terre merveilleuse, vers laquelle le poète, le peintre et l’érudit sont également attirés ! L’auteur de Patmakhanda a pensé que les souvenirs d’un pareil voyage ne perdraient rien à être présentés dans leur pittoresque désordre, et on nous permettra, en nous aidant de ses récits, en y ajoutant quelquefois, de faire un peu comme lui. Les races, les