Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/654

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Europe ! il y avait en vérité dans une si glorieuse évocation de quoi confondre l’entendement d’un duc de Celle-Lünebourg. George-Guillaume sentit que la tête lui tournait et laissa passer le vertige ; puis bientôt, son esprit froid et pratique, sa méfiance du temps et des hommes, qui l’avaient, disait-il, toujours trompé, reprenant le dessus, il fit entendre le plus poliment du monde à son auguste sœur que toutes ces belles choses pouvaient bien n’être, hélas ! que des rêves. À ces hésitations du père de Sophie-Dorothée, la duchesse de Hanovre répondit par un indéfinissable sourire.

— Eh ! que diriez-vous, mon cher frère, si toute cette destinée que je vous déroule était écrite là-haut ? Croyez-vous à l’astronomie, monseigneur ?

— Mais je tiens pour impiété notoire de mettre en doute cette science, qui date de la création.

— Eh bien ! je ne vous ai pas dit une seule parole que les astres ne m’aient dictée, et toutes ces grandeurs sont dans la destinée de George, dans son horoscope.

À ce mot d’horoscope, George-Guillaume n’y tint plus, et se levant pour embrasser sa belle-sœur : — Puisque les décrets éternels l’ont résolu, s’écria-t-il, à quoi servirait de résister davantage ? Mieux vaut se soumettre et remercier de ses bienfaits la Providence. J’accepte donc comme un insigne honneur pour ma maison l’alliance que vous m’offrez, en foi de quoi je vous donne ma main : dixi[1] !

À peine avait-il lâché le mot sans appel, qu’un frisson parcourut ses membres et que son être devint la proie d’un de ces inexplicables pressentimens semblables, dans certaines crises de la vie, à ce que dans l’ordre physique sont ces explosions électriques qui changent par momens la température ; mais soudain, éprouvant comme un remords de sa faiblesse et se raffermissant pour ainsi dire contre lui-même : — C’est dit, ma sœur, vous pouvez compter que cette union s’accomplira, et puisse maintenant le ciel y donner sa bénédiction !

Éléonore ressentit un vif chagrin de la détermination prise à son insu par George-Guillaume. La royale belle-sœur eut fort à faire pour lever les scrupules de la pauvre mère, engagée dans la cause du prince de Wolfenbüttel ; mais Eléonore était femme et se laissa tenter par les séductions de l’ambition et de l’orgueil. Son imagination fut éblouie par l’éclat d’un diadème, son esprit n’osa se raidir

  1. Ce dernier terme chez le duc George-Guillaume de Celle-Lünebourg équivalait à une formule sacramentelle ; il l’avait pris à l’université, et depuis ne cessa jamais de le prononcer dans les occasions importantes. Parole définitive, apocalyptique, suprême, ce dixi lui servait en quelque sorte à sceller tout acte irrévocable de sa volonté. Aussi se donnait-il bien garde de le prodiguer ; mais, s’il l’articulait une fois, tout était dit, et lui-même ne se reconnaissait plus le pouvoir de modifier son propre arrêt : dixi !