Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/643

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

journaux de New-York : l’un se rapporte à la célébration de l’anniversaire de la naissance de Fourier par les phalanstériens de l’Amérique du Nord ; l’autre nous raconte les prodiges de hâblerie et de jonglerie qui se sont passés dans la convention des spiritualistes à Springfield, dans le Massachusetts.

Si nous sommes inférieurs aux Américains sous le rapport du progrès matériel et industriel, ils sont, on le voit, bien au niveau de l’Europe sous le rapport moral.

CH. DE MAZADE.




AVERROES ET L’AVERROÏSME, par Ernest Renan[1]. - Aujourd’hui que l’histoire a été étudiée dans ses détails les plus intimes, et pour ainsi dire interrogée sur tous les secrets de la politique, de la littérature, de la philosophie, le plus grand embarras des esprits investigateurs, c’est de rencontrer un sujet inexploré ou de mettre en lumière une vérité nouvelle. Pour trouver un sujet qui prête aux découvertes, il faut une science très positive. de même que pour trouver une vérité il faut, avec un esprit juste, un sens critique très étendu, et c’est précisément parce que ces deux qualités essentielles sont rarement réunies, qu’on voit si rarement aussi paraître de bons livres. La plupart des érudits et même des historiens se contentent trop souvent de répéter sans examen ce que d’autres avaient déjà répété sans contrôle, et de la sorte l’histoire, falsifiée, n’est en bien des points que l’écho des erreurs traditionnelles. D’éminens esprits se laissent même quelquefois prendre à ces mensonges, et, en les acceptant avec une entière bonne foi, ils leur prêtent par leur autorité une consécration nouvelle. Ainsi en est-il advenu pour le représentant le plus célèbre de la philosophie arabe du moyen âge, pour Averroès, dont la personne, le nom, les œuvres et les idées n’ont jamais cessé, depuis plus de six cents ans, d’être complètement défigurés par les biographes, les érudits, les commentateurs et les traducteurs. Grammairien, théologien, jurisconsulte, astronome, médecin, philosophe, Averroès semble résumer en lui, au moment même où elle va finir, cette brillante civilisation des Arabes d’Espagne, qui jette en Andalousie un si vif éclat sous le calife Hakem II, se continue toujours brillante dans la seconde moitié du XIe siècle, et disparaît dans le siècle, suivant pour faire définitivement place à la civilisation chrétienne, à laquelle elle laisse pour unique héritage quelques livres et quelques idées, car c’est toujours là ce qui survit. Parmi ces livres, le premier rang appartient, sans aucun doute, aux Commentaires d’Averroès sur Aristote. Le philosophe arabe domine, à côté du philosophe grec, le mouvement intellectuel du moyen âge. Attaqué et défendu tour à tour avec cette passion que, l’homme apporte à la recherche de la vérité, il règne dans l’école en même temps qu’il est proscrit par l’église, respecté par les uns, maudit par

  1. Paris, librairie de Durand ; 1 vol. in-8o.