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premier amour est toujours la poésie, mais pour leur faire sentir qu’ils ont à se fortifier dans une étude nouvelle, dans une atmosphère plus vraie et plus féconde. Assurément le talent n’est point absent dans les vers que M. Ferdinand Fabre intitule avec une modestie un peu ironique : Feuilles de Lierre. Il y a une certaine facture libre et aisée ; mais cela dépasse-t-il le niveau des compositions légères et éphémères de ce genre ? Oui, on peut le répéter, il y a un travail nécessaire, il y a un ordre d’inspirations nouvelles à rechercher, il y a un mouvement nouveau à poursuivre, et, comme nous le disions, tout ce qui peut se révéler ou s’accomplir dans ce sens touche à l’instrument même de la grandeur politique de la France en Europe et dans le monde.

Sous quel jour apparaît aujourd’hui la situation générale de l’Europe ? Les impressions les plus vives de ces derniers temps se sont évidemment calmées. Il y a cependant une chose curieuse, c’est le mystère qui continue à planer sur les négociations du prince Menschikoff à Constantinople. L’envoyé russe n’a point quitté en effet les états du sultan ; sa mission semble même prendre un caractère permanent. Seulement, il est permis de le croire, son influence peut être aujourd’hui contrebalancée par la présence des ministres d’Angleterre et de France, lord Strafford Redcliffe et M. de Lacour, qui sont arrivés depuis quelques jours à Constantinople, et ont été déjà reçus par le sultan. Autant qu’on en puisse juger d’ailleurs, il ne s’agit plus d’une question de nature à précipiter la solution de cette redoutable affaire d’Orient. Tel est le sens des explications données récemment dans le parlement anglais par le ministre des affaires étrangères, lord Clarendon, sur les interpellations du marquis de Clanricarde. Après les déclarations de lord Clarendon, il ne peut plus y avoir de doute sur la manière dont le gouvernement britannique continue à envisager la question d’Orient. L’intégrité de l’empire turc est mise hors de contestation. S’il en était besoin, cela suffirait sans doute pour réduire les proportions des derniers incidens. Un autre trait de cette discussion, c’est qu’il en résulte qui’ l’Angleterre et la France n’ont point cessé d’agir en complète intelligence à Constantinople. Quant à la politique intérieure de l’Angleterre, elle est dominée aujourd’hui par toutes les considérations qui se rattachent à l’exposé financier fait récemment par le nouveau chancelier de l’échiquier, M. Gladstone. C’est avec une certaine curiosité que cet exposé était attendu, en raison même des circonstances et en raison de l’importance du chancelier de l’échiquier, qui est un des premiers hommes d’état de l’Angleterre. Comment allait-il se tirer des difficultés de la situation ? M. Disraeli, on peut s’en souvenir, était arrivé, non sans d’ingénieux efforts, à combiner, dans son plan financier, le maintien de la législation commerciale inaugurée par sir Robert Peel avec quelques mesures protectrices de dégrèvement à l’égard des intérêts agricoles, il avait spirituellement résolu un problème assez compliqué d’équilibre. M. Gladstone, lui, va plus avant encore dans la voie des libérales réformes de 1846. Il opère des réductions nouvelles de tarifs sur quelques-uns des principaux objets de consommation tels que le thé, le savon, le beurre, le fromage, etc. La hache, on le voit, est hardiment portée sur le vieil édifice de la protection. Ce sont cependant autant de réductions considérables de recettes laissant un vide qu’il faut bien combler, et ici apparaît le revers de la médaille. M. Gladstone est bien forcé de