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fidélités du talent, dans la rectitude du jugement ou de l’imagination, dans les applications heureuses, sensées et justes de l’esprit. Une de ces applications les plus sérieuses et les plus utiles de l’intelligence, c’est assurément de s’éclairer au spectacle de la vie de certains hommes ou de certaines périodes de l’histoire. N’est-ce point là le caractère des Notices historiques de M. Mignet, et de quelques-uns des fragmens qui composent les Études historiques de M. Eugène Forcade ? M. Miguel est un talent ferme, correct et ordonné, assis en quelque façon dans certaines doctrines comme dans certaines habitudes de droiture et d’élévation. Comme historien, on sait avec quel mélange d’érudition et de pénétration il recomposait, dans quelques-uns de ses derniers ouvrages, la vie d’un Antonio Perez ou de cette reine de douloureux souvenir, Marie Stuart. Comme secrétaire de l’Académie des Sciences morales, Comme successeur de d’Alembert, il a eu à rajeunir et à ranimer ce cadre du portrait académique ; il y a réussi en faisant revivre, autour des personnages dont il avait à retracer la figure, la société de leur temps, les intérêts qui s’agitaient autour d’eux, les idées qu’ils professaient, les événemens auxquels ils avaient pris part. Et lorsque ces personnages sont Sieyès, Merlin, Siméon, Talleyrand, Rœderer, Bignon, Daunou, Cabanis, c’est toute l’histoire du commencement de ce siècle, c’est la reconstruction de la société civile, c’est tout un mouvement politique et philosophique auquel M. Mignet lui-même se rattache assurément par plus d’un lien ; c’est l’histoire actuelle, toute chaude encore du moins et la plus saisissante, lorsque l’homme qui revit dans quelqu’une de ces biographies est Rossi. M. Mignet met un art plein de force et de nuances dans la peinture de cette existence étrange couronnée d’une si grande fin, de ce caractère si vigoureux, ardent et prudent à la fois, souple et viril, dédaigneux et fier jusque devant la mort. C’est ainsi que ces Notices font passer devant vos yeux tout un ensemble de choses et d’hommes, — hommes et choses évanouis ! Une des plus remarquables biographies de M. Mignet est celle de Franklin, bien qu’elle ne se rattache pas essentiellement aux notices académiques. M. Mignet écrivait cette biographie, si nous ne nous trompons, en 1848, et il y avait certes de l’à-propos à montrer le bonhomme américain dans la rectitude de sa vie, dans la finesse de son bon sens et dans cette intégrité morale qui semble si naturelle, qu’elle donne au devoir toute l’apparence du bonheur. C’est donc une collection d’études savantes et instructives où la fermeté de l’histoire se mêle à l’habileté du pinceau dans la mesure d’un talent qui reste d’autant plus aisément lui-même, qu’il s’est moins jeté dans la lutte active des opinions et des partis, depuis bien des années du moins.

Autant on sent dans les pages de M. Mignet le calme d’un esprit accoutumé à considérer les choses d’une sphère d’observation en quelque sorte philosophique, autant il y a quelque chose de militant dans M. Eugène Forcade, l’auteur des Études historiques. Ces Études ne sont point nouvelles sans doute ; on les a lues ici même en grande partie. Ce sont tous ces essais sur l’Histoire de la Révolution de 1848 de M. de Lamartine, sur la révolution anglaise à propos du livre de M. Macaulay, sur les Cavaliers et les Têtes rondes, sur M. Mackintosh, que l’auteur appelle un libéral au XIXe siècle. Chacune de ces études a encore son intérêt et sa forte saveur. M. Eugène Forcade est assurément