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les premières séances du congrès, qui vient de s’ouvrir, et avant l’interruption des séances qui a lieu dans les premiers jours de janvier. Par bonheur, Mlle Catherine Hayes chante ce soir ; le cygne d’Erin, comme on l’appelle, a ses partisans, qui l’opposent même au rossignol de Dalécarlie.

Un hasard assez heureux me procure le plaisir d’entendre ainsi l’une après l’autre les deux voix tant célébrées en prose et en vers dans les vingt-trois états de l’Union, et en même temps me permet d’entrevoir au moins la société de Baltimore, après avoir entrevu la ville par un beau soleil et par… j’allais dire un beau froid, mais je ne conviendrai jamais que le froid puisse être beau. J’ai trouvé la réunion de ce soir plus brillante même que celle de Philadelphie. En approchant vers le sud, une certaine élégance de manières se fait de plus en plus sentir. Je suis entré dans les états à esclaves ; pour la première fois, je vois dans la salle du concert une tribune circulaire destinée aux personnes de couleur ; on a raison de dire ainsi, car il n’y a pas seulement des noirs dans cette catégorie, on y trouve réunies toutes les nuances jusqu’au blanc inclusivement. Pour les connaisseurs, la descendance africaine ne s’en manifeste pas moins dans un coin de l’œil ou à la racine de l’ongle, et quoique d’une blancheur très pure, une quarteronne est obligée de prendre place à côté des nègres.

Mlle Hayes n’est pas une artiste de l’étoffe de Jenny Lind ; mais elle est plus nouvelle, elle est Irlandaise, elle chante avec agrément les ballades de son pays, et je crois qu’elle a eu plus de succès ce soir qu’hier n’en a eu… j’allais dire sa rivale, mais vraiment on ne peut les mettre sur la même ligne. Quoique les concerts soient très suivis, qu’on y paie sa place assez cher, qu’on emploie dans les journaux les plus fortes hyperboles, et les mêmes hyperboles, pour célébrer des talens supérieurs et des talens médiocres, je ne crois pas que l’instinct musical soit très développé en Amérique. Les Américains sont trop Anglais pour être musiciens. Ils font cependant beaucoup musique, on fabrique aux États-Unis une énorme quantité de pianos et les concerts de société y sont aussi fréquens et au moins aussi redoutables qu’en Europe ; mais je ne vois pas qu’il se produise en ce pays des exécutans célèbres. Les Américains ont des sculpteurs, des peintres même ; je n’ai pas encore entendu citer le nom d’un compositeur américain.

On a fait quelques efforts pour cultiver la musique sacrée. Le chant d’église a été perfectionné à Boston par la Société d’Haendel et d’Haydn ; à Lowell, j’ai trouvé la musique des grands maîtres mise dans des concerts bon marché à la portée du peuple ; mais, malgré tous ces louables efforts, l’organisation anglo-saxonne résiste. Il est