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l’organisation qu’il a établie dans la police de sûreté, la tranquillité et la sécurité publiques ont beaucoup gagné. Comme la police est, ainsi que je l’ai remarqué, le côté faible de plusieurs grandes villes des États-Unis, entre autres de New-York, je suis curieux de voir ce qui s’est accompli dans ce genre à Philadelphie. D’ailleurs c’est pour un voyageur une occasion de faire connaissance avec une partie de la population qu’on n’aurait pas chance de rencontrer dans le monde, et qu’il ne serait pas sûr d’aller visiter chez elle, à moins d’être aussi bien accompagné.

Nous avons commencé notre tournée à huit heures du soir, et ne l’avons terminée qu’à onze heures. Dans l’intervalle, nous avons été dans un bon nombre de bastrings suspects, de taudis effroyables, fait visite à plusieurs dames de couleur, et traversé certaines ruelles où il ne serait pas sage de s’aventurer seul. Le magistrat était suivi de deux agens de grande taille qui avaient des pistolets dans les poches de leur redingote et nous servaient de gardes du corps.

Le maire entrait ça et là dans une maison, où nous trouvions une mulâtresse fumant son cigare. Nous étions reçus fort poliment. Il parlait paternellement à la pécheresse. — Eh bien ! Jeanne, comment vous trouvez-vous ? Vous êtes bien logée ici. — On lui répondait sans impudence et sans embarras. Parfois il était salué dans la rue par un nègre qu’il avait envoyé en prison quelque temps auparavant. — Prenez garde, lui disait-il, de ne pas revenir devant moi : ce sera plus grave la prochaine fois. — Soyez tranquille, monsieur le maire, lui répondait-on, je ne m’y exposerai plus. – M… est beaucoup plus sévère que ses devanciers, mais il n’est point partisan de la sévérité inutile. Sa devise est, me disait-il : Never harsh, and always ready, ni rudesse ni mollesse. Ses agens ont l’ordre, quand ils trouvent des ivrognes qui ne sont que légèrement avinés, de les reconduire chez eux.

Rien ne saurait être plus hideux que certaines petites chambres où les nègres se réunissent pour danser, ou plutôt pour se trémousser monotonement l’un devant l’autre en frottant contre le sol la semelle de leurs souliers, dans un espace, de quelques pieds, où se trouve un poêle, et qu’encombre une galerie au milieu de laquelle d’horribles vieilles négresses fument leur pipe. Cette population noire fournit, comme on doit s’y attendre, le plus grand contingent aux arrestations exécutées par les agens de police ; mais la population blanche y contribue aussi pour une notable portion, surtout les Irlandais. Ces arrestations ont monté, en une année, à 7,077 personnes ; quelquefois le dépôt (lock-up) contient soixante femmes. Les allemands se gâtent depuis quelque temps ; la meilleure population parmi les étrangers est la française.