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Il parait qu’ils ont manifesté à cet égard quelque mécontentement, et ont même renvoyé récemment les juges que le congrès leur avait donnés. Les saints ont, à cette occasion, prononcé des discours très aigres contre les gentils ; c’est ainsi que les mormons désignent les autres habitans des États-Unis, et en général tout ce qui n’est pas mormon. Ils me semblent tenir beaucoup des Juifs, dont ils se prétendent descendus. C’est la même antipathie pour tout le reste du genre humain, la même activité pour s’enrichir, la même union entre eux. M. Kane, qui les a rencontrés et suivis pendant quelque temps dans leur fuite, a été très touché des sentimens de tendresse qu’ils manifestaient les uns pour les autres au sein de la détresse commune, du soin qu’on prenait des vieillards et des faibles. Il raconte l’histoire d’un jeune mormon malade et près de mourir, qui se faisait conduire dans une charrette à travers le désert pour rejoindre ses coreligionnaires avant d’expirer. Comme il perdait la vue, la femme qui conduisait la charrette l’engageait à s’arrêter. « Non, répondait-il, je ne verrai plus les frères, mais je veux les entendre encore. »

J’ai lu le livre sacré des mormons, et je dois dire que je n’y ai rien trouvé de l’étrange morale qu’on leur impute. C’est une imitation, ou, si l’on veut, une parodie de l’Ancien Testament, un récit en versets et en style biblique très affaibli des migrations de leurs aïeux venus sous différens chefs, dont l’un s’appelle Mormon, de la Palestine en Amérique, où la nouvelle loi devait leur être pleinement révélée par J. Smith. Il y a lieu de croire que ce qui a aidé surtout aux progrès du mormonisme dans les États-Unis, c’est la pensée que l’Amérique devait avoir sa religion et sa révélation à elle, sur ce point même se détacher du vieux monde, et ne lui rien devoir.

Le livre des mormons a bien été écrit pour des Américains. La théorie, qui fait de la raison l’apanage de la majorité y est placée dans la bouche d’un des chefs de la tribu prédestinée : » Il n’est pas ordinaire que la voix du peuple désire quelque chose de contraire à ce qui est bien ; mais il arrive fréquemment que la minorité désire ce qui n’est pas bon. C’est pourquoi vous vous ferez une loi de conduire vos affaires par la volonté du peuple. » On voit combien les mormons, quelle que puisse être la différence de leurs idées à d’autres égards, sont pénétrés de la doctrine américaine sur l’infaillibilité du nombre et l’erreur présumée de la minorité, doctrine qui a moins d’inconvéniens là où la multitude est éclairée comme aux États-Unis, mais qui partout peut avoir pour résultat de mettre la force à la place du droit. Pascal disait, en parlant d’un vote sur des matières ecclésiastiques : « Il est plus aisé de trouver des moines que des raisons. »

Il y a dans ce livre des intentions évidemment polémiques, et qui ne font point honneur à la tolérance des mormons. On place dans